"Les grands majordomes sont grands parce qu'ils ont la capacité d'habiter leur rôle professionnel, et de l'habiter autant que faire se peut ; ils ne se laissent pas ébranler par les événements extérieurs, fussent-ils surprenants, alarmants ou offensants. Ils portent leur professionnalisme comme un homme bien élevé porte son costume. C'est, je l'ai dit, une question de "dignité"."
Stevens a passé sa vie à servir les autres, majordome pendant les années 1930 de l'influent Lord Darlington puis d'un riche Américain. Les temps ont changé et il n'est plus certain de satisfaire son employeur. Jusqu'à ce qu'il parte en voyage vers Miss Kenton, l'ancienne gouvernante qu'il aurait pu aimer, et songe face à la campagne anglaise au sens de sa loyauté et de ses choix passés... (Folio)
Ici, point de badinage.
Mr. Stevens est un majordome de la vieille école, c'est-à-dire qu'il croit à son métier et qu'il ne vit que pour lui, il le sacralise et dévoue son corps, son âme et ses actes pour le glorifier : "Les grands majordomes sont grands parce qu'ils ont la capacité d'habiter leur rôle professionnel, et de l'habiter autant que faire se peut ; ils ne se laissent pas ébranler par les événements extérieurs, fussent-ils surprenants, alarmants ou offensants. [...] C'est, je l'ai dit, une question de "dignité".".
Aujourd'hui quelque peu dépassé et enfermé dans sa quête de perfection du majordome, Mr. Stevens est au service d'un riche américain qui amène avec lui une forme de modernité et de décontraction qu'il ne connaît pas.
Il faut dire que pendant très longtemps à Darlington Hall, Mr; Stevens a été le majordome de Lord Darlington, un personnage ayant joué un rôle dans l'Europe des années 20/30 en recevant chez lui le gratin européen dans une volonté d'empêcher une nouvelle guerre.
Mr. Stevens a vécu le paroxysme de sa carrière durant ces années : "En jetant sur ma carrière un regard rétrospectif, je tire ma plus grande satisfaction de ce que j'ai accompli au long de ces années, et aujourd'hui, je ne ressens que fierté et gratitude à l'idée d'avoir bénéficié d'un tel privilège.", et c'est avec nostalgie qu'il s'en souvient et qu'il se remémore tous les événements auxquels il a assisté à Darlington Hall.
Mais ce n'est pas parce qu'il est vieillissant et nostalgique du passé que tout cela lui revient en mémoire, c'est en allant rendre visite à Miss Kenton, l'ancienne gouvernante de Darlington Hall, qu'il se rappelle son passé et les moments vécus avec elle.
Depuis, elle s'est mariée, elle est partie loin de Darlington Hall et elle n'a plus donné de nouvelles que de façon épisodique et épistolaire.
Mr. Stevens se rend-il compte à un moment donné qu"il est complètement passé à côté de cette femme et des sentiments qu'elle avait pour lui ?
Non, et c'est là toute la cruauté de cette histoire, lui restant prisonnier de son carcan de majordome et la haute estime qu'il a de ce métier : "Un majordome d'une certaine qualité doit, aux yeux du monde, habiter son rôle, pleinement, absolument; on ne peut le voir s'en dépouiller à un moment donné pour le revêtir à nouveau l'instant d'après, comme si ce n'était qu'un costume d'opérette.", uniquement focalisé sur le bon déroulement de son travail et des employés sous sa responsabilité, est finalement passé à côté d'un pan de sa vie; quant à Miss Kenton, lassée de cet homme aveuglé par son métier qui se réfugie derrière pour annihiler tout sentiment : "Pourquoi, Mr. Stevens, pourquoi, mais pourquoi faut-il toujours que vous fassiez semblant ?", elle a fini par partir et choisir une vie médiocre dans laquelle elle n'est finalement pas heureuse et où les années s'écoulent lentement mais inexorablement.
Porté par un style maîtrisé et une narration très anglaise, c'est avec bonheur que le lecteur se glisse entre les lignes et assiste, impuissant, à la perdition de ces deux personnages qui n'ont jamais su se parler franchement et se trouver.
Tout comme il regarde Mr. Stevens empêtré dans sa vision de majordome, incapable de se débarrasser de sa rigueur et de s'ouvrir aux autres par une autre forme de communication que celle de relations de travail, mal à l'aise dès qu'il sort de sa fonction et, en quelque sorte, impatient de retrouver son costume.
Mais au-delà de ces deux personnages forts, c'est aussi toute une partie de l'histoire de l'Europe qui est décrite en toile de fond avec un beau renversement de situation entre l'Angleterre et les Etats-Unis.
En effet, lors d'une réunion dans les années 20/30, un américain avait fustigé l'attitude de Lord Darlington en signifiant qu'il n'était pas à la hauteur du rôle qu'il essayait de tenir et avait été mis de côté par tous pour ses propos, aujourd'hui c'est un américain qui est propriétaire de Darlington Hall.
Kazuo Ishigiro a sans conteste une très belle plume et fait partie de la nouvelle génération d'auteurs anglais qui portent haut les couleurs de la littérature anglaise, un écrivain que je relirai avec plaisir.
Désormais, il ne me reste qu'à voir l'adaptation cinématographique de ce livre par James Ivory dont le seul nom laisse présager une réussite.
"Les vestiges du jour" est un roman au charme typiquement britannique qui brille par ses non-dits et ses secrets, dans lequel il faut voir au-delà des phrases la vérité qui s'y cache, le tout sous la très belle plume de Kazuo Ishiguro.
Une très belle lecture empreinte de nostalgie qui n'a pourtant rien de vieillotte et de démodée.
Livre lu dans le cadre du Club des Lectrices
Je n'ai jamais pu lire ce roman, la faute aux cours de traduction à la fac, un vrai casse-tête à traduire!!
RépondreSupprimerJ'ai hésité à le lire en anglais, j'ai finalement opté pour le français.
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