dimanche 23 mars 2014
Mauvais genre de Chloé Cruchaudet
Paul et Louise s'aiment, Paul et Louise se marient, mais la Première Guerre mondiale éclate et les sépare. Paul, qui veut à tout prix échapper à l'enfer des tranchées, devient déserteur et retrouve Louise à Paris. Il est sain et sauf, mais condamné à rester caché dans une chambre d'hôtel. Pour mettre fin à sa clandestinité, Paul imagine alors une solution : changer d'identité. Désormais il se fera appeler Suzanne. Entre confusion des genres et traumatismes de guerre, le couple va alors connaître un destin hors norme.
Inspiré de faits réels, Mauvais Genre est l'étonnante histoire de Louise et de son mari travesti qui se sont aimés et déchirés dans le Paris des Années folles. (Delcourt)
Adapté en bande dessinée d'après "La garçonne et l'assassin" de Fabrice Virgili et Danièle Voldman, "Mauvais genre" retrace le parcours hors norme et bien réel de Paul Grappe alias Suzanne Landgard dans le Paris de 14/18 et des Années Folles.
Paul et Louise s'aiment, ils se marient, mais la Guerre éclate et Paul part au front. Marqué par l'horreur des combats, il s'auto-mutile, traîne à l'hôpital et finit par déserter en se cachant dans l'appartement de sa femme.
Il ne peut plus mettre un pied dehors, dépérit, jusqu'à ce que poussé par Louise, il se déguise en femme pour sortir acheter du vin.
A partir de ce jour-là, un nouvel horizon s'ouvre à lui : c'est désormais travesti en femme sous le nom de Suzanne qu'il va retrouver goût à la vie.
La Guerre prend fin mais les déserteurs ne sont toujours pas amnistiés : "Les déserteurs ne sont pas amnistiés ... mais ne t'en fais pas ... ils le seront sûrement un jour ... faut attendre, c'est tout.", Paul doit garder l'identité de Suzanne, un double auquel il a pris goût, sans doute un peu trop.
Dans le Paris des Années Folles, il sombre alors dans l'excès : les folles nuits au bois de Boulogne, les partouzes, l'échangisme, entraînant Louise avec lui, la seule qui continue à travailler pour faire vivre l'étrange ménage qu'elle forme désormais avec Paul.
Louise et Paul/Suzanne continuent pendant plusieurs années leur folle histoire, s'aiment et se déchirent jusqu'au drame final.
Quelle histoire extraordinaire et parfaitement méconnue qui ressort alors que les commémorations du centenaire de la Première Guerre Mondiale se rapprochent.
Le destin du couple formé par Louise et Paul est intéressant à plus d'un titre : il met en lumière un couple que la Guerre a en quelque sorte contribué à détruire et permet d'illustrer la face méconnue des Années Folles.
Les horreurs de la Guerre ont contribué à perturber Paul, prêt à tout pour ne pas repartir au front y compris vivre comme un reclus puis dans la peau d'une femme, tout en lui faisant prendre conscience de sa bisexualité.
Paul se transforme en Suzanne, il devient femme, agit et pense comme tel, et y prend énormément de plaisir.
Non content de devenir la bonne copine à qui l'on confie tout, il s'encanaille dans le bois de Boulogne dans un monde de la nuit glauque où toutes les perversions sont de mise, entraînant avec lui Louise dans une spirale infernale et auto-destructrice.
Suzanne, également appelée Suzie, devient populaire dans cet univers décadent et marque les esprits des personnes qui l'y auront côtoyée : "C'est comme si elle était plusieurs partenaires à la fois, un être complet et magnifique. Si vous aviez affaire à un homme ou à une femme vous pouviez vous attendre à un certain comportement ... alors qu'elle était imprévisible, elle pouvait être douce et violente à la fois, passer de la pudeur à la fougue ... tout ça avec une liberté incroyable ... c'est ça qui était attirant peut-être.".
Pour se réaliser pleinement, Paul n'a pu se contenter de sa masculinité, il a également eu besoin de la féminité de Suzanne, prenant de nombreux risques à commencer par celui d'être découvert : "T'es stupide ou quoi ? T'as oublié qui t'étais ? T'as oublié ce qui pourrait t'arriver si tu te faisais remarquer ?".
Mais pour lui il n'est plus possible de ne redevenir que Paul quand l’amnistie des déserteurs est enfin signée. Suzanne rôde, à l'affût, prête à revenir n'importe quand : "Tu te souviens Paul ? Comme c'était bon d'être moi. Tout était plus suave ... plus coloré. Avoue que tout ceci ne te déplaisait pas. La vie avait une autre odeur, un autre goût ... je veux dire pas seulement celui du rouge à lèvres à la cerise.".
J'ai pris énormément de plaisir à lire cette histoire particulièrement bien retranscrite et ô combien originale, mettant en lumière un aspect absolument méconnu de la Grande Guerre.
Bâti sur le principe du flash-back, le lecteur commence ce récit par le procès de Louise avant de découvrir la vie des deux personnages.
Le scénario est très bien déroulé et les dialogues sont savoureux, particulièrement la plaidoirie finale où l'avocat réussit par un tour de force à poser Louise comme une victime.
Malgré son peu de gentillesse et sa violence, le personnage de Paul attache le lecteur, curieux de voir jusqu'où va aller ce personnage ainsi que celui de Louise, prête à tout subir par amour pour son mari.
Les dessins de Chloé Cruchaudet sont tout simplement merveilleux, nuancés par une palette allant du noir au blanc, le rouge étant exclusivement réservé à faire ressortir le sang ou la féminité via une robe, un porte-monnaie ou un vernis à ongle.
Il ressort des dessins une teinte sépia et des traits esquissés au fusain qui leur donnent un cachet fou, ce roman graphique est une formidable réussite mettant en valeur tout le talent de cette auteur que je ne connaissais pas mais que je vais désormais suivre avec grand intérêt.
Grâce à "Mauvais genre", Chloé Cruchaudet met en lumière une histoire méconnue qui gagne à l'être, celle de Paul Grappe, un homme travesti en femme pendant plus de dix ans pour cause de désertion et sombrant dans la face cachée des Années Folles, et pose une réflexion délicate et intelligente sur les genres masculin et féminin.
Une très belle bande dessinée qui n'a pas usurpé sa récompense lors du 42ème Festival de la Bande Dessinée d'Angoulême.
Si je devais mettre une note à cette bande dessinée elle serait de 19/20.
Cette bande dessinée a reçu le Prix du Public Cultura au Festival d'Angoulême 2014
Je remercie les Editions Delcourt et Price Minister pour l'envoi de cette bande dessinée dans le cadre de l'opération La BD fait son Festival 2014.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire