samedi 1 mars 2014

Le cheminot suivi de La lettre d'amour de Jiro Asada et Takumi Nagayasu


La ligne ferroviaire d’un petit village d’Hokkaido, sur laquelle a travaillé durant des années un chef de gare aujourd’hui retraité, va être fermée. Durant une froide nuit d’hiver, passé, présent et futur reviennent en mémoire du vieil homme, l’innondant de souvenirs heureux mais aussi douloureux. Une magnifique histoire... (Panini Comics)

L'histoire du premier récit se déroule à Hokkaido, une île, et suit les derniers jours d'Oto, chef de gare dont la ligne va disparaître, l'entraînant à prendre une retraite forcée.
C'est l'hiver, il fait froid et la neige ne cesse de tomber, c'est une atmosphère glaciale qui se détache des premières images de ce manga et cette impression ne quittera plus le lecteur jusqu'à la fin.
Puis viennent les personnages : Sen et un jeune conducteur de train qui viennent pour la presque toute dernière fois dans la gare d'Horomai, et Oto, le chef de gare et ami de Sen.
Oto est un homme seul depuis la mort de sa femme il y a quelques années, et surtout marqué par le drame de la mort de sa fille unique âgée de quelques mois.
Dans toutes ces circonstances, Oto est resté chef de gare avant tout, avant sa famille, avant sa tristesse, pour que coûte que coûte le train puisse circuler dans les meilleures conditions : "On étouffe sa colère et sa peine. On se retient de hurler. C'est le lot des employés du chemin de fer.".
Oto sacralise son travail de cheminot, à l'image du majordome Stevens dans "Les vestiges du jour" de Kazuo Ishiguro, le faisant passer avant toute autre chose : "Je suis cheminot. Les cheminots ne pleurent pas pour des histoires de famille.".
Aujourd'hui Oto est un vieil homme, presque le dernier survivant d'un village qui disparaît, il ne lui reste que ses souvenirs, joyeux ou tristes, son vieil ami Sen qui partage avec lui la nuit du Nouvel An, et la reconnaissance du jeune Hideo qui doit à ce chemin de fer et à ce cheminot d'avoir pu faire des études à la ville pour y devenir "quelqu'un" : "Si j'en suis là aujourd'hui, c'est parce que chaque jour, bon gré mal gré, vous êtes toujours resté fidèle au poste. Grâce au train ... grâce à vous, j'ai pu poursuivre mes études.".
Et en cette froide nuit d'hiver, une visite va replonger Oto dans ses souvenirs, les faisant ainsi partager au lecteur.
Difficile d'en dire plus sans dévoiler le secret de cette très belle histoire, mais que d'émotions !
Cette histoire est tout simplement bouleversante, il s'en dégage beaucoup de tristesse et de regrets mais également une sensibilité à fleur de peau.
Les dessins sont de toute beauté et dégagent une atmosphère qui enveloppe le lecteur, quant au récit il est extrêmement bien construit et fait venir les larmes aux yeux à plusieurs reprises.
Malgré l'éloignement géographique, le lecteur se sent en territoire connu : les paysages de ce Japon insulaire ne lui sont pas inconnus, de plus ils sont d'un réalisme à couper le souffle.
Quant aux personnages, difficile de ne pas s'y attacher, en particulier à celui d'Oto, et de ne pas ressentir de l'empathie pour eux.
Une histoire mélancolique qui berce et fait rêver le lecteur le temps de quelques pages, une beauté en noir et blanc sur papier glacé dont il ne faudrait pas passer à côté.

Changement d'atmosphère pour "La lettre d'amour".
Goro est un mafieux de bas étage, égoïste et sans scrupules, tout juste sorti de prison, dont la vie est sans intérêt mais va soudainement basculer lorsque ce dernier reçoit une lettre sous forme à la fois de déclaration d'amour et d'adieux d'une femme qu'il ne connaît pas et qu'il a simplement épousé pour lui permettre d'obtenir des papiers et de travailler comme prostituée.
Goro est loin, très loin d'être un personnage sympathique, pourtant le cœur de ce gros dur va se fendiller et se libérer grâce à deux lettres que lui a écrit Pai Lan, sa femme qu'il n'a jamais connue et qu'il ne connaîtra jamais puisqu'il va à sa rencontre pour récupérer sa dépouille : "Avant de coucher, je te demande pardon. Je te demande pardon chaque fois, même si je ne peux pas faire autrement. Si je travaille dur et que je rembourse l'organisation, je finirai peut-être un jour par te rencontrer. On pourrait vivre ensemble.".
Goro pète littéralement un câble, il devient sensible, s'insurge que la police refuse d'enquêter sur la mort de cette femme (une prostituée morte des suites d'une maladie vénérienne) : "Moi, on me jette en taule parce que j'ai vendu des cassettes pornos ! Et quand quelqu'un meurt, personne ne fait rien ?! C'est nous qui l'avons tuée, cette fille ! Nous tous !", se transforme finalement en veuf éploré à la surprise générale et se découvre finalement de l'amour pour cette femme, entrevoyant ainsi ce qu'aurait pu être sa vie s'il avait suivi un autre chemin : "C'est sûrement à cause de cette lettre. Dès que j'ai commencé à la lire dans le train je me suis senti tout bizarre.".
Autant dire que le changement est spectaculaire et le contraste saisissant avec ce gros dur qui se transforme en pleureuse inconsolable : "Nous sommes des monstres ! Des monstres qui se sont nourris de ta chair jusqu'à ce que tu en meurs ! Et les monstres ne sont pas gentils !! J'ai tout gâché ! Je t'en supplie, sois ma femme !".
Finalement, la mort de cette jeune femme aura eu le mérite de le faire mûrir et évoluer vers un être humain et non plus un mafieux sans cœur et sans scrupules.
Si l'histoire apparaît somme toute assez simpliste, elle n'en est que plus belle, d'autant plus qu'elle est particulièrement bien mise en valeur par les sublimes dessins de Takumi Nagayasu qui joue là aussi sur les contrastes : entre un Goro au look de voyou et une Pai Lan sublimée à la limite d'une madone, le lecteur y trouve largement son compte et son plaisir.

Adapté du roman éponyme de Jiro Asada, "Le cheminot" a été adapté en manga par le talentueux Takumi Nagayasu dont le dessin est de toute beauté et retranscrit à merveille toute la sensibilité et le côté dramatique de l'histoire.
Il en va de même pour "La lettre d'amour", ces deux récits formant un magnifique recueil plein de sensibilité, de poésie, d'émotions et d'amour, un très beau moment de grâce au cœur d'une lecture poignante du début à la fin, à découvrir de toute urgence.

Livre lu dans le cadre d'Un samedi par mois, c'est manga - Mars 2014


2 commentaires:

  1. Je découvre ce titre et ton billet est bien tentant : je le note !

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    1. Je te le conseille vraiment, ce fut une très belle lecture pleine d'émotions !

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