dimanche 7 décembre 2014

Le palanquin des larmes de Chow Ching Lie


Choisie pour son exceptionnelle beauté, Chow Ching Lie a treize ans lorsqu'elle est contrainte d'épouser l'héritier d'une des plus grosses fortunes de Shanghai. Elle incarne ainsi, sous le règne de Mao Tsé-Toung, le drame de la femme chinoise et de son asservissement séculaire. D'un bouleversement à l'autre, Chow Ching Lie est soumise à rude épreuve et trouvera refuge dans la musique. Envers et contre tout, elle poursuit ses cours de piano et entre au Conservatoire. Artiste et virtuose, elle voit alors s'ouvrir à elle une carrière internationale. (J'ai Lu)

Constitué du récit autobiographique de Chow Ching Lie dicté à la plume de Georges Walter, "Le palanquin des larmes" est un livre édifiant sur la condition de la femme en Chine jusque dans les années 50.
Chow Ching Lie, née dans une famille modeste, pose d'emblée sa situation : "Je suis née dans la Chine de la misère et des larmes. Petite fille, j'ai souffert et pleuré de bonne heure. J'étais jolie : ce n'est pas un mérite, ce fut une malédiction. Laide et difforme, je n'aurais sans doute pas été mariée de force à l'âge de treize ans. Mais mon malheur ne vint pas de ma seule beauté : il était à l'image d'un vaste pays, où il ne faisait pas bon vivre, où il n'était surtout pas bon de naître si l'on avait l'infortune d'être une fille.".
Dans ces quelques phrases qui ouvrent le récit, tout est dit ou presque.
Les mots sont une chose pour narrer sa vie et en faire le tour en quelques mots, mais il y a tout le reste à venir dans le récit, où une horreur chasse l'autre et choque nos esprits d'Occidentales : les rares moments de joie face à ceux de peine et de douleur, le mariage de force à treize ans, la réduction en esclavage pour servir au mieux des beaux-parents tyranniques, une petite fille qui découvre les "devoirs" conjugaux sans en avoir jamais entendu parler; en somme, les us et coutumes d'un pays qui paraissent d'un autre temps et qui pourtant avaient encore cours il n'y a pas si longtemps que cela : "Ce dont je parle ici ne date pas du Moyen Age, c'était le sort de la Chinoise au milieu du XXè siècle et très exactement jusqu'à Mao-Tsé-Toung qui, en 1950, édicta la première loi interdisant, entre autres, le meurtre des nouveau-nés, ainsi que les mariages forcés et l'abus de pouvoir de la belle-mère, tous ces fléaux qui furent aussi douloureux que les inondations et les famines.".
A savoir que certaines coutumes sont encore actuelles, comme celle consistant à ce que le lit de noces soit préparé par un couple ayant réussi dans la vie : "La coutume veut que cet office soit rempli par un couple dont la vie a été particulièrement heureuse.".
J'ai lu ce récit avec une certaine consternation, j'étais bien loin d'imaginer que toutes ces choses ont pu se passer dans un passé encore proche, incapable en me revoyant à treize ans de m'imaginer mariée de force avec un inconnu, encore plus incapable de m'imaginer mère à quatorze ans, mais surtout, incapable d'imaginer comment j'aurai pu continuer à avoir foi dans la vie si j'avais dû connaître tous les malheurs de Chow Ching Lie.
Car c'est une profonde admiration que je ressens pour cette femme qui a su composer avec les événements de la vie, s'émanciper de la Chine en Europe et y bâtir un avenir pour elle et ses enfants, cette fois-ci non pas grâce à sa grande beauté mais grâce à son talent de pianiste, et à sa ténacité, à sa force de caractère.
J'ai eu mal pour elle à la lecture de son récit, lorsqu'elle se raconte enfant bien sage et soumise aux décisions de ses parents, elle l'enfant obéissante qui aura un destin plus tragique que ses frères et sœurs qui auront été moins dociles envers leurs parents; c'est avec une certaine pudeur qu'elle se raconte mais ce n'est pas pour autant qu'elle tait ses émotions, son ressenti, à l'image de la vision qu'elle a du jour de son mariage au moment où elle doit partir, comme le veut la tradition, sur un palanquin fleuri :  " "Palanquin de joie", disait-on chez nous. Pour moi, palanquin des larmes."; tout comme elle ne tait pas les conditions de vie en Chine à cette époque, particulièrement celles des femmes.
Son récit m'a aussi permis de découvrir l'histoire de la Chine dans les années 20 à 50 et d'avoir une autre vision de Mao-Tsé-Toung qui, à nos yeux d'Occidentaux, représente l'archétype du dirigeant-dictateur communiste Chinois dont nous ne cherchons pas à en savoir plus, alors qu'il a notamment permis l'émancipation des femmes en Chine et les a libérées du joug de la belle-famille.
Je nuance mon propos en ajoutant que la lecture de "Chinoises" de Xinran parle de cette avancée mais se situe plusieurs années après et montre que si la condition féminine a évolué elle est encore bien loin d'être arrivée à un niveau satisfaisant, les récits évoquent d'ailleurs les années 60 avec le "Grand bond en avant" et la Révolution culturelle.

"Le palanquin des larmes" est un témoignage poignant et dur de ce que fut la vie de Chow Ching Lie dans la Chine des années 40 à 50 et plus généralement celle des femmes à cette époque.
Un récit édifiant qui fait partie de ceux marquants la vie de tout lecteur.

Un grand merci à Marjolaine pour le prêt de ce livre !

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