samedi 18 octobre 2014

Tristesse de la terre - Une histoire de Buffalo Bill Cody d'Eric Vuillard


Alors, le rêve reprend. Des centaines de cavaliers galopent, soulevant des nuages de poussière. On a bien arrosé la piste avec de l’eau, mais on n’y peut rien, le soleil cogne. L’étonnement grandit, les cavaliers sont innombrables, on se demande combien peuvent tenir dans l’arène. C’est qu’elle fait cent mètres de long et cinquante de large ! Les spectateurs applaudissent et hurlent. La foule regarde passer ce simulacre d’un régiment américain, les yeux sortis du crâne. Les enfants poussent pour mieux voir. Le cœur bat. On va enfin connaître la vérité. (Actes Sud)

Le nom de Buffalo Bill est connu de tout le monde, mais qui connaît réellement l'homme derrière la légende ?
Que sait-on de lui à part l'image que l'on en a de son rôle dans les guerres indiennes ?
En toute honnêteté hormis cela je ne savais pas grand chose du personnage, encore moins qu'il avait pendant des années organisé et dirigé un spectacle : le Wild West Show.
Son spectacle a contribué fortement à forger sa légende et à déformer la réalité de ce qui s'est vraiment passé : "Il a fait sortir la flamme de terre, aspergeant le monde d'une pluie de tracts, prospectus, magazines où sa légende a été, ligne à ligne, fabriquée, peaufinée, et où l'apologie est devenue sans cesse plus habile. Et tout cela pour une oeuvre exemplaire, une formidable contribution à l'histoire de la Civilisation.".
En effet, pour son show Buffalo Bill n'a pas hésité à faire appel, et à payer, de grands chefs indiens pour y jouer leur propre rôle, mais dans une histoire bâtie pour satisfaire le public, lui vendre du rêve, le faire frissonner en revivant de grandes batailles et en y exhibant tel des bêtes de foire de grands chefs indiens : "L'idée centrale du Wild West Show était ailleurs. Il fallait stupéfier le public par une intuition de la souffrance et de la mort qui ne le quitterait plus. Il fallait le tirer hors de lui-même, comme ces petits poissons argentés dans les épuisettes. Il fallait que devant lui des silhouettes humaines poussent un cri et s'écroulent dans une mare de sang. Il fallait de la consternation et de la terreur, de l'espoir, et une sorte de clarté, de vérité extrême jetées sur toute la vie.".
Toujours plus grand, toujours plus impressionnant, telle pourrait être la devise de ce show qui a fait le tour des Etats-Unis avant de venir en Europe : "Rien n'arrête le démon de la mise en scène. Rien ne remplit assez le tiroir-caisse. Et aussitôt les curieux se pressent, la foule veut mieux voir. On ne voit jamais assez. Il y a quelque chose de grand et de beau, ou peut-être de très affreux et de très vulgaire, qui nous échappe toujours.".

A travers de courts chapitres relatant des faits avérés sur la durée de vie de ce spectacle, Eric Vuillard a montré l'envers du décors à la fois de ce show mais également de la légende qu'est Buffalo Bill.
Si avant il ne me faisait pas rêver, autant dire qu'après cette lecture il n'est même plus possible de l'envisager.
Eric Vuillard relate les faits, à partir d'une photo illustrant précisément le thème du chapitre, avec une plume toujours légèrement ironique, une plume qui grince et qui gratte efficacement le vernis pour faire apparaître la pourriture qui se cache derrière.
Son ton cynique aurait pu rebuter, il permet au contraire de mettre en lumière toute la vérité sur le personnage de Buffalo Bill et qui était réellement William Frederick Cody : un homme pour qui tout moyen était bon pour gagner le plus d'argent possible, quitte à se mettre en scène avec les ennemis d'hier, fonder une ville au nom de Cody pour avoir, comme tant d'autres, une part du gâteau dans la conquête de l'Ouest.
J'ai littéralement dévoré ce court livre, un peu fascinée par ce que j'y découvrais mais surtout horrifiée d'y lire tant d'horreurs.
Non content d'avoir massacrés les Indiens, de les avoir chassés de leur terre et parqués pire que des bêtes dans des réserves, ils ont aussi servi à amuser les foules américaines et européennes, devant jouer leur propre rôle dans une réalité qui n'était pas la leur, devant faire fi du passé et de leur honneur pour gagner quelque argent.
Il condense en quelque sorte l'envers du décors de la Conquête de l'Ouest et y dévoile ce que l'on apprend pas dans les manuels d'Histoire.

Ce roman porte bien son titre, après sa lecture il ne reste effectivement au lecteur qu'un arrière-goût aigre dans la bouche, et beaucoup de "Tristesse de la terre", mais également celle de tout un peuple bien souvent oublié de la littérature.
En écornant comme il le faut le mythe de Buffalo Bill, Eric Vuillard signe-là un beau roman fort de cette rentrée littéraire.

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