samedi 15 novembre 2014

Tête-bêche de LIU Yichang


L’oeuvre de Liu Yichang a profondément marqué le cinéaste Wong Kar-wai, qui s’est nourri de l’âme de son roman pour réaliser le film In the mood for love. «Tête-bêche, dit-il, est un terme français utilisé en philatélie pour désigner deux timbres reliés entre eux et imprimés en sens inverse l’un de l’autre. Pour moi, tête-bêche, c’est aussi l’intersection des temps.» Un homme, une femme. Il est vieux, elle est jeune. Ils parcourent les mêmes lieux, croisent les mêmes personnes, sans jamais se rencontrer. Lui est habité par le passé, ses souvenirs heureux à Shanghai. Elle est une jeune écervelée qui s’éveille à la sensualité, aspire à être regardée, adulée. Hong-Kong est leur miroir. Ce Hong-Kong des années soixante, en pleine mutation, jungle de gratte-ciel où règne l’insécurité. (Philippe Picquier)

Avant de commencer à parler de ce roman, il faut absolument faire abstraction de la couverture et oublier "In the mood for love" ainsi que sa musique lancinante, car ce roman n'a fait qu'inspirer Wong Kar-wai qui a su en retirer l'âme pour la transposer dans une histoire d'amour entre un homme et une femme qui ne cessent de se croiser tous les jours.
Ici, il y a bien un homme et une femme mais sans chabadabada, car lui est vieux (la soixantaine voire un peu plus) tandis qu'elle est jeune (15 ou 16 printemps).
Par contre, ils ne cessent de se croiser dans un Hong-Kong en pleine mutation, jusqu'à se trouver côte-à-côte au cinéma.
Lui vit dans le passé : sa famille, sa jeunesse à Shangai, les postes qu'il a occupés, les femmes qu'il a aimées, les lieux où il a été; tandis qu'elle ne vit pas tout à fait dans le présent mais plus dans un futur onirique : "Elle, dont les rêves étaient le stimulant préféré et qui vivait dans l'illusion, n'était pas prête à écouter les conseils de sa mère.", bercée par l'envie (et l'illusion) de trouver un homme regroupant tous les critères de beauté des acteurs qu'elle adule, et surtout riche pour lui permettre de vivre confortablement et sans avoir à travailler.
Leur seul point commun est d'aimer le cinéma, c'est d'ailleurs à cette unique occasion qu'ils seront plus proches que jamais.
Le titre "Tête-bêche" est particulièrement bien trouvé car ces deux personnages sont en sens inverse l'un de l'autre : si lui a fait sa vie elle n'a pas encore commencé à travailler, si lui a aimé des femmes et eu un enfant elle n'en est qu'à fantasmer des baisers et des scènes d'amour torrides, si lui est à la fin de sa vie et profite de la sagesse que son âge et ses expériences lui ont permis d'acquérir elle commence la sienne et est dans toute l'insolence de son jeune âge en refusant de se salir les mains pour rapporter de l'argent chez elle.
Pourtant, ces deux-là ne sont finalement pas si différents l'un de l'autre.
Et l'un comme l'autre n'hésitent pas à sortir de chez eux pour prendre le pouls de cette ville qui ne cesse de s'étoffer et où le danger rôde partout, à l'inverse d'autres personnages qui, s'ils le pouvaient, resteraient chez eux : "Tu parles d'une vie ! Soit on reste cloîtré chez soi, soit on se livre en pâture aux voyous !".
Ils n'ont pas le même âge mais ils ont choisi de vivre, ce qui est tout à leur honneur.
L'auteur a choisi d'alterne les points de vue, reprenant à chaque fois le fil de la narration sur un même lieu ou une même pensée ou l'écoute d'une même chanson.
D'ailleurs, j'ai trouvé le style très musical et certaines phrases, y compris les répétitions des noms à la suite des acteurs appréciés de la jeune fille, ne m'ont absolument pas gênée au cours de ma lecture.
Ce qui m'a particulièrement frappée dans ce livre, outre la vision ogresque de Hong-Kong, c'est l'atmosphère qui s'en dégage.
Hong-Kong est omniprésente, dans ses odeurs, dans ses bruits, dans sa population, dans tout ce qui la caractérise, comme si Hong-Kong était plus qu'une ville, une personne bien en vie et dont le cœur bat à cent à l'heure : "Ainsi était la vie, absurde et pourtant si proche de ce qui hante nos rêves. Des sons enivrants encore et encore. Des sons langoureux qui faisaient partie intégrante de la vie. Toujours là présents à vos oreilles, que vous ayez ou non envie de les entendre.".
A la lecture de ce roman, il se dégage une explosion sensorielle à travers les cinq sens, ou presque.
Entre cet homme qui se remémore son passé et cette jeune fille dont le corps s'éveille à la sexualité il y a une multitude d'impressions qui frappe de plein fouet le lecteur, comme bien souvent avec la littérature Asiatique où l'éveil des sens et du désir n'est jamais loin.

"Tête-bêche" de LIU Yichang est un roman qui se vit autant qu'il se lit, une expérience intense qui m'a transportée le temps de ma lecture dans un Hong-Kong où la sensation de toucher les étoiles n'est jamais bien loin de celle de se faire tirer son sac par un voleur, un livre d'atmosphère à découvrir de toute urgence.

Livre lu dans le cadre du Club des Lectrices


Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2014 pour PAL en danger / Chute de PAL


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