dimanche 13 septembre 2015

Et tu n'es pas revenu de Marceline Loridan-Ivens


« J’ai vécu puisque tu voulais que je vive. Mais vécu comme je l’ai appris là-bas, en prenant les jours les uns après les autres. Il y en eut de beaux tout de même. T’écrire m’a fait du bien. En te parlant, je ne me console pas. Je détends juste ce qui m’enserre le cœur. Je voudrais fuir l’histoire du monde, du siècle, revenir à la mienne, celle de Shloïme et sa chère petite fille. » (Grasset)

Ceci n’est ni une nouvelle ni un roman, mais une longue lettre de Marceline Loridan-Ivens à l’adresse de son père, déporté avec elle mais qui, contrairement à elle, n’est pas revenu.
En somme, la prédiction qu’il lui avait faite s’est réalisée.
Elle lui fait part de sa vie, celle quand elle était déportée et que son unique but était d’essayer de survivre, celle qu’elle a essayé de bâtir quand elle est revenue : "Pourquoi une fois revenue au monde, étais-je incapable de vivre ?".

J’ai beau avoir lu Elie Wiesel ou Charlotte Delbo, les témoignages sur la déportation me remuent toujours autant, et celui de Marceline Loridan-Ivens, écrit à quatre mains avec Judith Perrignon, ne fait pas exception.
Est-ce parce qu’elle s’y raconte à cœur ouvert, qu’elle met à nu la moindre de ses pensées et le moindre de ses sentiments ?
Sans doute.
Elle y parle de la mort, de cette voisine toujours à rôder et toujours prête à sévir : "Nous ne vivions plus que le présent, les prochaines minutes. Plus rien ne pouvait nourrir l’espoir. Il était mort.", cette mort qui a anéanti le moindre sentiment chez ces survivants : "Survivre vous rend insupportables les larmes des autres. On pourrait s’y noyer.".
Mais ce qui m’a sans doute le plus bouleversée, c’est son récit du retour, l’incompréhension de sa famille et de ses proches qui refusent qu’elle parle de quoi que ce soit, la peur qu’elle suscite chez eux, la fascination qu’exerce cette période de l’histoire sur son frère qui pourtant n’a pas connu les camps de la mort et qui finira par se suicider à cause d’eux.
C’est l’histoire d’une femme qui a vécu de lourds traumatismes qui ne disparaîtront jamais et qui pourtant s’est battue, notamment aux côtés de son mari, pour changer le monde selon leurs idéaux.
C’est une femme qui avait une forme de revanche à prendre sur la vie, et qui l’a fait : "J’ai été quelqu’un de gai, tu sais, malgré ce qui nous est arrivé. Gaie à notre façon, pour se venger d’être triste et rire quand même.".
Et c’est là que réside tout le paradoxe de Marceline Loridan-Ivens, car pour la première fois elle se livre sous un jour différent que celui que le public lui connaît.
Mais c’est aussi une femme qui espère un jour pouvoir répondre positivement à la question de savoir si elle a bien fait de revenir des camps, parce qu’aujourd’hui elle n’est pas sûre de pouvoir le faire.
C’est à la fois violent et douloureux de lire une telle chose, parce qu’à ce moment-là on entraperçoit les répercussions qu’ont pu avoir l’internement dans les camps de la mort sur les personnes qui en ont été victimes.
J’ai aussi été frappée par le titre et toute la force de la douleur qui s’en dégage.
Mais plus que tout par l‘ensemble de cette confession de ce petit bout de femme qui a pourtant tout d’une grande.


"Et tu n’es pas revenu" n’est plus ni moins qu’un émouvant cri d’amour d’une fille envers son père disparu, un texte dur mais nécessaire pour tenter d’appréhender au plus près et au plus juste ce que fut la Shoah.

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