jeudi 3 mai 2012

Une village français - Saison 3 - 1941 Vivre ses choix



Il faut bien le reconnaître, la saison 1 d’"Un village français" a servi à planter le décor, présenter les personnages, en quelque sorte, une phase de test.
La saison 2 est venue renforcer et créer de façon définitive une addiction des spectateurs à cette série. La montée en puissance était achevée, et c’est donc tout logiquement qu’une troisième saison a eu lieu.

Cette troisième saison couvre, comme la deuxième, l’année 1941, la période de septembre à novembre.
Changement complet de la part des scénaristes, cette fois-ci la saison comporte 12 épisodes et non plus 6, elle s’attache à couvrir une période serrée et définie de l’Histoire et surtout, il y a de véritables cliffhangers finals permettant ainsi d’ouvrir l’histoire vers une quatrième saison, ce qui faisait quelque peu défaut à la fin de la deuxième saison.
La seule erreur vient de la programmation un dimanche soir, une faute de goût de la part de France Télévisions qui malheureusement fera perdre en audience cette série.
C’est d’ailleurs l’un des points reprochés au cours des trois premières saisons : l’impossibilité des programmateurs à s’entendre sur une date de diffusion : première saison le jeudi soir, deuxième le mardi, troisième le dimanche.
Il y a de quoi perdre des téléspectateurs avec une diffusion aussi aléatoire.

Cette troisième saison est remarquable sur bien des niveaux.
Tout d’abord il y a eu un changement dans le scénario et cette fois-ci presque chaque fin d’épisode  comporte un suspens qui donne immédiatement envie d’enchaîner sur l’épisode suivant.
Et puis, à la fin de la deuxième saison, les scénaristes se sont attachés les services de Violaine Bellet, spécialiste de la psychologie appliquée aux créations de fiction, et autant le dire, les personnages y ont fortement gagné en dimension psychologique.

Cette troisième saison met l’accent sur 2 points historiques importants : le maire, Daniel Larcher, se retrouve à devoir gérer une situation d’otages, à savoir qu’il doit lui-même fournir la liste des otages qui seront exécutés si le "terroriste" communiste préparant un attentat sur Villeneuve n’est pas démasqué ; les épisodes s’attachent à montrer le fonctionnement d’une cellule communiste de l’intérieur, où les membres vont devoir suivre la ligne du Parti, à savoir tuer des officiers allemands.
Ce deuxième point est relativement intéressant et offre les quelques touches d’humour de cette série, car certaines situations en deviennent cocasses (dans le bon sens), mais paradoxalement, il offre aussi les quelques scènes un peu trop longues.
Mais il faut le reconnaître, il y a un manque d’objectivité de la part d’un des scénaristes puisque celui-ci a été élevé dans une famille communiste, ce qui explique la part belle faite à ces personnes et la quasi absence du curé du village.


Du côté des personnages, cette saison offre la part belle à celui de Marcel Larcher, présent dans tous les épisodes et détenant l’un des rôles principaux de la saison. Les scénaristes l’ont même transporté, l’espace d’un épisode avec son frère Daniel, en dehors de Villeneuve pour voir leur père mourant.
Certains sont mis en retrait, notamment Marie Germain ou De Kervern, mais c’est logique et normal car ils ont manqué de se faire prendre en fin de deuxième saison et ils ont plutôt intérêt à se faire discret pendant un moment avant de reprendre leurs activités de résistance.
D’autres par contre explosent littéralement l’écran et prennent une toute autre dimension, je pense notamment à Hortense Larcher ou à celui de Heinrich Müller qui de personnage secondaire devient non seulement personnage principal mais en prime réussit à s’attirer la sympathie des téléspectateurs ; ou encore Jeannine Schwartz qui commence, enfin, à s’imposer dans la population et à faire entendre sa voix (il faut dire que de modérer sa descente d’alcool lui permet aussi d’être plus présente voire présentable).
Certains se font désirer, comme Jean Marchetti, mais c’est voulu et son retour en milieu de saison est plus que bienvenu, d’autres prennent de l’envergure, comme Jules Bériot et certains font leur apparition : Albert Crémieux qui sera "aryanisé" par Raymond Schwartz et dont on sent qu’il y a du potentiel pour la prochaine saison tandis que d’autres restent fidèles à eux-mêmes, notamment Lucienne l’institutrice ou Daniel Larcher, le médecin et maire de Villeneuve.


Cette troisième saison, c’est aussi celle où explosent les sentiments amoureux et les relations, certaines plus improbables que d’autres.
L’un des fils principal est la relation se nouant entre Suzanne et Marcel, Suzanne en quête perpétuelle d’un petit geste gentil, d’une attention. Elle quémande, elle ment un peu parfois mais ça fait son charme, toutefois on sent que cette relation ne pourra pas durer, déjà parce que c’est contraire à la ligne du Parti et aussi parce que le mari de Suzanne est prisonnier de guerre, une relation adultère était très mal vue à cette époque.
Il y a aussi en toile de fond les amours que je qualifierai de champêtres entre Raymond Schwartz et sa métayère Marie Germain.
A travers deux relations amoureuses, les scénaristes ont mis en avant les relations sentimentales de femmes avec l’Occupant.
Il y a tout d’abord Lucienne l’institutrice avec Kurt, un soldat de la Wehrmacht, dont elle attendra un enfant, permettant ainsi aux scénaristes d’aborder les enfants nés des amours franco-allemand. Cette relation est la plus fleur bleue qui soit, dans le sens où il s’agit de deux très jeunes gens qui tombent amoureux l’un de l’autre durant cette période troublée, alors que ni l’un ni l’autre n’avait demandé quoi que ce soit pour y être mêlé. Il faut bien le reconnaître, cette histoire a séduit toutes les midinettes qui sommeillaient dans les téléspectatrices. Et cela a aussi été l’occasion d’évoquer la réalité de l’avortement dans les années 1940, car Lucienne cherchera dans un premier temps à se débarrasser de cet enfant.


Et surtout, il y a la relation amoureuse (car oui, pour moi c’en est bien une) entre Hortense Larcher et Heinrich Müller. Notre femme de médecin, malheureuse dans son mariage avec un homme plus âgé qu’elle qui l’infantilise, en manque d’enfant comblé par l’adoption de "Tequiero", est en dépression, il n’y a pas d’autre mot.
De plus, elle est imprévisible, elle agit sur l’instinct du moment, sans jamais penser à mal. Elle n’est pas calculatrice, elle a une forme d’adolescence, elle a des rêves et des envies qui ont sans doute été bridés depuis toujours et là elle peut enfin s’exprimer et vivre des choses.
Elle est entière : quand elle est avec son amant elle se donne à 100%, pareil quand elle est avec son enfant, son geste final prouvant d’ailleurs la fragilité psychologique du personnage : c’est une cocotte-minute prête à exploser à tout instant, et elle ne fait pas les choses à demi-mesure.
Elle est malheureuse dans sa vie (et son mari est plutôt mou et indécis, c’est un humaniste et elle l’admire pour cela, il fait figure d’un père pour tous à commencer par elle, mais il n’est clairement pas fait pour elle), alors elle avait pris comme amant Jean Marchetti la saison dernière, mais là c’est vers un homme beaucoup plus dangereux qu’elle ira : Heinrich Müller, un SS chef du SD (le service de renseignement), un homme puissant, cultivé, qui la fascine certainement autant qu’il l’effraye.
Entre les deux, c’est plutôt enflammé et ce dès le premier épisode, il n’y a qu’à voir cette formidable scène du dîner entre notables où Heinrich Müller dévore des yeux Hortense, où celle-ci sans complexe lui demande de raconter sa blessure de guerre et où ce dernier s’exécute.
Ce qui fera demander au sous-préfet Servier à Daniel Larcher si tous les deux se connaissaient avant le repas tant ils semblent proches.
Car Heinrich Müller ne respecte pas vraiment le savoir-vivre, en tout cas il est libre, il dit ce qu’il pense sans détour que ce soit pour ce qu’il veut ou ce qu’il va faire.
Il offre à Hortense tout ce que Daniel est incapable de lui proposer, il ne l’infantilise pas, il n’est pas du tout dans une relation paternelle avec elle, au contraire il vit avec elle un amour passionné car il la voit femme avec ses yeux et Hortense le ressent ainsi, sans doute trop puisqu’il finit par la torturer pour essayer de lui soutirer des informations et que j’ai ressenti comme un regret lorsqu’il est muté sur le front de l’Est à la fin de la saison.


C’est là un tour de force des scénaristes, ce personnage avait tout pour être détestable : c’est un nazi convaincu, il est chef du renseignement et pratique la torture pour obtenir des informations.
Certes, il présentait une faiblesse en deuxième saison ainsi qu’en début de troisième : il est dépendant de la morphine suite à une blessure de guerre qui le fait souffrir par moment ; mais là les scénaristes ont humanisé ce personnage et c’est presque plus dur de penser que même derrière les nazis ou les bourreaux il n’y a que des hommes que de les détester tout simplement.
Je trouve ce personnage fascinant, il prend un côté humain car les scénaristes le confrontent à un sentiment inconnu de lui jusque là : il va être amoureux d’une femme, lui qui se croyait sans doute insensible et immunisé à tout il se retrouve en quelque sorte désarmé et subit cet amour qui l’enverra, en partie, sur le front de l’Est.
Cela n’enlève rien à sa perversité, mais cela a créé une empathie avec le téléspectateur à tel point que chacun espère qu’il va revenir la saison prochaine.


Au-delà de ces personnages extrêmement travaillés psychologiquement, il y a des acteurs formidables, au jeu toujours juste.
Audrey Fleurot explose en Hortense Larcher, elle montre toutes les subtilités de son personnage, quant à Richard Sammel il est tout simplement génial dans sa prestation de Heinrich Müller et les scènes entre ces deux acteurs fonctionnent à merveille.
Emmanuelle Bach est plus vraie que nature dans le rôle de cette pétainiste convaincue, François Loriquet prend de l’envergure avec le personnage de Bériot, quant à Marie Kremer elle arrive toujours à jouer juste le personnage de Lucienne pourtant pas si évident (elle est apathique et passe bien souvent pour une idiote).
Nicolas Gob campe un Jean Marchetti que l’on aime à détester et à traiter d’ordure, la fraternité à l’écran entre Robin Renucci et Fabrizio Rongione transparaît bien, Nade Dieu prête toujours aussi bien ses traits à Marie Germain ainsi que Thierry Godard à son amant.
Sans doute le fait que la plupart de ces acteurs sont issus du théâtre n’est pas étranger au fait que leur jeu est plaisant à regarder et toujours sans faute.

Cette troisième saison offre des scènes remarques et délicieuses à regarder, ne serait-ce que dans le premier épisode avec ce dîner de notables.
Il y a de très belles scènes, de magnifiques confrontations entre les personnages, le point d’orgue étant, entre autres, le dialogue entre Sarah emprisonnée et Daniel Larcher pour qui elle travaillait comme servante. Son discours est d’une vérité troublante et ouvrira en partie les yeux de Daniel Larcher, mais ce n’est pas non plus pour cela qu’il changera quelque chose à son attitude. Il s’enfonce dans une collaboration un peu poussé par les évènements, sans trop chercher à se révolter, à agir ou à faire évoluer les choses.
Mais c’est en cela qu’ "Un village français" est une série puissante, elle ne cherche pas à montrer exclusivement des héros et des salauds, elle montre juste des gens ordinaires confrontés à des choix et fait s’interroger tout le monde sur la façon dont on aurait agi.
Rien n’est aussi tranché ou aussi facile, rien non plus n’est décidé à l’avance, d’ailleurs Raymond et Hortense survivront-ils ?

Les thèmes abordés dans cette saison le sont toujours de façon intelligente, bien documentée et tout en nuance, et cela fait d’"Un village français" une série ambitieuse et extrêmement plaisante à regarder.


Détail des épisodes

1)     Le temps des secrets (28 septembre 1941)
2)     Notre père (17 octobre 1941)
3)     La planque (19 octobre 1941)
4)     Si j'étais libre (20 octobre 1941)
5)     Le choix des armes (23 octobre 1941)
6)     La java bleue (25 octobre 1941)
7)     Une chance sur deux (26 octobre 1941)
8)     Le choix (27 octobre 1941)
9)     Quel est votre nom ? (28 octobre 1941)
10) Par amour (29 octobre 1941)
11) Le traître (31 octobre 1941)
12) Règlements de comptes (1er novembre 1941)


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