samedi 14 décembre 2013

Malavita de Tonino Benacquista


Une famille d'Américains s'installe à Cholong-sur-Avre, en Normandie. Fred, le père, se prétend écrivain et prépare un livre sur le Débarquement. Maggie, la mère, est bénévole dans une association caritative et se surpasse dans la préparation des barbecues. Belle, la fille, fait honneur à son prénom. Warren enfin a su se rendre indispensable pour tout et auprès de tous. Une famille apparemment comme les autres, en somme. Une chose est sûre, s'ils emménagent dans votre quartier, fuyez sans vous retourner... (Folio - Gallimard)

En une nuit, la famille Blake prend possession de sa nouvelle maison dans la petite ville normande (fictive) de Cholong-sur-Avre, pour le plus grand malheur des habitants de cette bourgade si tranquille mais ça, ils ne le savent pas encore.
Car les Blake ne sont pas une famille ordinaire, à 'origine ils s'appellent Manzoni, avec Giovanni (aka Fred), le père et ancien grand chef de la mafia New-yorkaise désormais repenti, sa femme Livia (aka Maggie), et leurs deux enfants : Belle et Warren.
Toute cette jolie petite famille vit donc cachée par le programme de protection des témoins du FBI et n'a surtout plus intérêt à remettre les pieds à New York ou dans le New Jersey pour les, disons 3 à 4 générations à venir.

Mais voilà, à force de vivre sous une autre identité et de ne pas avoir le droit de faire tant de choses que cela, l'ennui s'installe.
C'est pourquoi Fred se découvre une passion pour l'écriture via une vieille machine à écrire et se met alors à rédiger ses mémoires de chef de la Cosa nostra : "La machine, elle, ne ferait pas le tri, elle prendrait le tout, en vrac, le bon et le mauvais, l'inavouable et l'indicible, l'injuste et l'odieux, car tous les événements étaient vrais, c'était bien ça le plus incroyable, ces blocs de vérité dont personne ne voulait étaient tous authentiques.", au grand dam de sa famille et du FBI qui n'y comprennent rien; tandis que Maggie se lance dans les œuvres caritatives de bienfaisance pour racheter en quelque sorte le passé de son mafieux de mari à défaut de pouvoir remettre un jour les pieds dans un église et prier Dieu; tandis que Belle séduit tout le monde par sa beauté naturelle et que Warren se révolte d'être considéré comme un cliché d'américain de base : "Il supportait de plus en plus mal qu'on ne voie en lui un futur obèse au QI inférieur à celui d'une huître de l'Oyster Bar, prêt à tout sacrifier à son dieu dollar, un être inculte qui se pensait autoriser à régner sur le reste du monde.", bien décidé à perpétuer la tradition familiale et à reprendre un jour les rênes de la mafia New-yorkaise, en attenant il s'entraîne sur ses petits camarades de classe en se posant comme un parrain auprès d'eux pour résoudre tous leurs soucis.
C'est pourquoi très vite les Blake deviennent la coqueluche de ce petit village normand : "Les Blake se souciaient peu d'attirer les faveurs. Et pourtant, chacun à sa manière avait vu grimper sa cote de popularité dans des cercles sans cesse grandissants, qui parfois communiquaient. [...] Ils n'étaient question que d'eux, au lycée, au marché, et jusqu'à la mairie, si bien qu'une rumeur avait gagné la ville entière : cette famille-là était exceptionnelle.", mais comme le dit la quatrième de couverture : s'ils emménagent près de chez vous, fuyez !

Tonino Benacquista, sous couvert d'une histoire assez loufoque, brosse un portrait assez réussi de la Cosa nostra à travers ce mafieux repenti qui livre ses mémoires sur une machine à écrire.
Le personnage de Giovanni Manzoni est sans doute le plus réussi, celui qui cristallise bien la facilité de vie offerte par sa situation de haut gradé dans la mafia et aujourd'hui son ennui d'avoir dû faire un trait sur son pays, sa famille, ses amis, entraînant avec lui dans sa chute sa femme et ses enfants.
Mais l'adage "Chassez le naturel il revient au galop" est aussi vrai, car Fred aura beau se bercer de l'illusion de devenir un écrivain, c'est finalement Giovanni qui reprendra le dessus et qui devra tout mettre en oeuvre pour sauver sa peau et celle de sa famille.
Fred croit pouvoir utiliser les mots pour tirer un trait sur son passé dans une forme de confession ultime, mais ne serait-ce pas plutôt Giovanni qui cherche à retrouver les heures de gloire perdues ?
Fred se lance dans une grande réflexion sur l'utilité et l'usage du point virgule, mais Giovanni ne s'embarrasse pas de telles questions, prônant l'éloquence de la violence à celle verbale : "Giovanni Manzoni prônait l'art de l'éloquence à coups de barre à mine, et les joies de la dialectique se traduisaient en général par une recherche d'arguments sophistiqués allant du chalumeau à la perceuse.".
Le personnage de Maggie n'est pas lui non plus dénué d'intérêt, elle est assez représentative de l'image que l'on se fait d'une épouse de mafieux, avec un rang à tenir, des soirées à organiser, à fermer les yeux sur les incartades de son mari et surtout, devoir apprendre à vivre avec son mode de vie et son drôle de métier qu'il exerce, si tant est que cela en soit un. Elle a dû, comme lui, abandonner ses amies et sa famille, mais depuis longtemps elle a aussi dû tirer un trait sur sa foi et sa croyance en Dieu, ne se sentant plus légitime à mettre les pieds dans une église ou à le prier tandis que son mari ôte la vie, règle ses comptes et gère ses affaires toutes plus ou moins louches les unes que les autres.
Warren est également intéressant, il est à la foi le digne héritier de son père mais il incarne aussi une forme de rédemption. Il a envie de devenir comme son père, de suivre ses traces, ce qui n'est pas si étonnant que cela puisqu'à ses yeux il n'a jamais eu d'autres exemples de vie, à ce titre j'ai d'ailleurs beaucoup aimé les passages où il se pose en parrain dans son école entouré de sa cour de quémandeurs, mais il a aussi la possibilité et surtout le choix de changer de voie et de vivre somme toute assez honnêtement.
Son père s'en rend d'ailleurs compte et si ces deux personnages ont pu sembler éloignés l'un de l'autre pendant une bonne partie du roman, la fin leur permet de retrouver un lien qui avait disparu entre eux depuis plusieurs années.
Le seul bémol que j'apporterais à cette galerie de personnages est celui de Belle qui n'a pas été assez exploité à mes yeux et qui est trop en retrait par rapport aux autres. Elle apporte peu à l'histoire et c'est dommage car elle fait un peu plus fade que le restant de sa famille.
Le style de Tonino Benacquista est plaisant à lire, cette histoire est loufoque et comporte des passages drôles qui prêtent à sourire, ce côté décalé m'a beaucoup plu.
Le titre est à la fois le nom du chien, mais signifie également "la mauvaise vie" en traduction littérale, tout en étant une forme d'argot pour désigner la pègre bref, vous l'aurez compris, ce roman est du 100% mafia.
Quant à l'adaptation qu'en a fait Luc Besson au cinéma, je ne me suis pas encore décidée si je souhaitais voir le résultat ou non, il semblerait toutefois que d'après la bande annonce le scénario soit fidèle au livre.

"Malavita" de Tonino Benacquista ne peut sans doute pas être qualifié de grand roman mais il m'a permis de passer un très bon moment de détente avec cette famille de mafieux perdue au fin fond d'un village français entraînant avec eux des situations loufoques mais également des scènes de tendresse familiale, le tout se terminant en apothéose dans un final explosif.
Une chose est sûre : s'ils emménagent près de chez moi, je déménage !


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