dimanche 16 mars 2014

Je vous écris du Vél d'Hiv - Les lettres retrouvées de Karen Taieb


Les 16 et 17 juillet 1942, 4 500 policiers sont mobilisés pour réaliser la plus grande rafle à l'encontre des Juifs jamais organisée dans Paris et sa banlieue. 12 884 personnes sont arrêtées : 3 031 hommes, 5802 femmes et 4051 enfants. Les individus ou familles sans enfants seront dirigés sur le camp de Drancy, les autres, avec enfants, vers le Vélodrome d'Hiver. Dans ce lieu, jusque-là temple du sport, des milliers de personnes vont tenter de survivre pendant plusieurs jours. Les 6 000 Juifs envoyés à Drancy seront déportés rapidement, ceux du Vél' d'Hiv sont transférés dans les camps du Loiret, de Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Le 22 juillet, soit six jours après le début de la rafle, le Vél' d'Hiv a été entièrement évacué. 
On parle beaucoup et souvent de la rafle du Vél' d'Hiv. Mais à y regarder de plus près, on ne sait pas grand chose. Seuls une photo, quelques documents et des lettres disent la violence de l'arrestation, les conditions dramatiques de l'enfermement, la faim, les maladies, le bruit, les odeurs... À travers eux on a découvert l'enfer du Vél' d'Hiv. Ces lettres, ce sont quelques mots jetés à la hâte sur un bout de papier, remis à des mains complaisantes. Pour plus de 8 000 personnes internées au Vél' d'Hiv, moins de vingt lettres ont été retrouvées. 
Pour la plupart inédites, elles étaient conservées aux archives du Mémorial de la Shoah. Pour la première fois, les voici rassemblées et publiées dans cet ouvrage. Toutes sont clandestines puisque qu'aucune correspondance n'était autorisée. Ces lettres sont terrifiantes de vérité, de détails. Mais elles constituent aussi malheureusement seulement le point de départ de l'horreur puisque, à une exception près, toutes les personnes dont nous reproduisons les lettres dans ce volume vont être assassinées dans les camps de la mort. En dehors de ces quelques mots tracés de leur main, il ne reste pas grand-chose d'eux. (Robert Laffont)

Quand Karen Taieb, responsable des archives du Mémorial de la Shoah, décide de sortir de l'ombre et de l'oubli des documents conservés précieusement au sein du Mémorial ou de celui de Yad Vashem, cela donne ce livre saisissant et éprouvant.
Saisissant parce qu'il lève le voile sur un pan méconnu de la Rafle dite du Vél d'Hiv : les conditions d'internement à l'intérieur de cette enceinte sportive; éprouvant parce que les mots de ces lettres laissent entrapercevoir la douleur, le bruit, l'odeur, le manque de nourriture et d'eau, en somme toute l'horreur de cet enfer qui a duré cinq/six jours avant l'internement dans les camps du Loiret de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande et le départ pour une destination à l'époque inconnue sur laquelle aujourd'hui un nom a été mis : Auschwitz.
Sont ici présentées dix-huit lettres rédigées majoritairement dans l'enceinte du Vél d'Hiv et parvenues ou non à leur destinataire de façon clandestine, ainsi que quelques unes rédigées des camps d'internement du Loiret.
Toutes traduisent les conditions déplorables d'internement dans cette enceinte sportive absolument pas conçue pour recevoir des hommes, des femmes, des enfants, pendant plusieurs jours : "Déjà chaque femme et ses enfants est un monde de misère. Jamais on n'aurait pu imaginer pareille chose. Parqués là pire que des bêtes, sans aucun soin d'hygiène; deux cabinets toujours occupés par des milliers de personnes. Il faut attendre des heures son tour. Pour l'eau, c'est pareil.".
Plus de huit mille personnes ont été internées dans le Vél d'Hiv pendant plusieurs jours avant d'être acheminées temporairement dans les camps d'internement du Loiret.
La foule est compacte, il n'y a plus de place dans les gradins : "Pour l'instant on attend au Vél' d'Hiver où il y a toujours plus d'arrivages, des enfants, femmes, hommes, il y a de tout.", les enfants jouent sur la piste, il y a des malades à même le sol, il n'y a pas d'eau, pas de nourriture, les toilettes sont bouchées, la toiture du vélodrome est une verrière il fait donc très chaud dans l'enceinte, le bruit est permanent et l'odeur nauséabonde.
Mais la censure a fonctionné, rien n'entre ni ne sort du vélodrome.
Si la plupart de ces lettres témoignent de ces conditions déplorables, l'une fait état de la gentillesse d'un gendarme, un geste plutôt rare qu'il est important de souligner.
Si toutes s'accordent à décrire l'indescriptible, le ton employé n'est pas toujours le même : parfois il y a de l'abattement, de la peur, du courage, mais aussi de l'ironie face à la situation : "Nous sommes tous assis tout autour, sur les fauteuils comme au spectacle, mais ce sont nous les artistes.".
A l'intérieur du vélodrome c'est l'enfer, mais dans les camps d'internement de Pithiviers ou de Beaune-la-Rolande le temps est long et propice à la réflexion : "Je ne fais rien, aussi j'ai tout mon temps pou réfléchir et méditer sur tout le bonheur perdu (qui sait, à jamais peut-être ...).", cette phrase a été écrite par une jeune fille, Edith Schuchova, à l'attention de son meilleur ami, à qui elle précise un funeste : "Forget me not.".
Mais ce livre ne se contente pas de présenter les lettres, il fait également part du destin de toutes les personnes qui les ont rédigées et de leur famille, et présente les rares photographies de toutes ces personnes, permettant ainsi de mettre un visage sur les noms.
C'est aussi en cela qu'il est particulièrement poignant, c'est le destin tragique de plusieurs familles qui est ici raconté, la vie de personnes qui s'est brutalement interrompue et dont aucune n'est revenue de déportation, à l'exception d'Antonina Pechtner.
Ce chapitre m'a particulièrement marquée pour deux raisons, tout d'abord parce que dans sa missive rédigée au Vél d'Hiv Antonina Pechtner fait preuve d'une clairvoyance extraordinaire quant au sort qui l'attend : "Je ne veux pas que mon enfant meure quelque part en Pologne, je veux mourir sans lui.", mais aussi parce qu'elle est l'une des rares personnes arrêtées en juillet 1942 à être revenue de déportation.
D'une certaine manière, c'était presque choquant de le lire tant auparavant j'avais lu la sempiternelle phrase : "Aucun d'entre eux n'est revenu.", aussi parce que dans une certaine mesure je n'arrive pas à comprendre comment cela a pu être possible de réussir à survivre dans l'univers concentrationnaire d'Auschwitz.
Toutes ces lettres sont terrifiantes et criantes de vérité, elles permettent de saisir sur le vif des détails peu connus jusqu'à ce jour et sont malheureusement bien des fois la dernière trace de vie des personnes qui les ont rédigées.

Il faut remercier Karen Taieb d'avoir rassemblé et publié ces lettres dans ce poignant recueil, un livre indispensable qui participe à la transmission de la mémoire du passé et des victimes de la Shoah, pour ne jamais oublier et surtout que cela ne se reproduise plus jamais.

Livre lu dans le cadre du Challenge Petit Bac 2014 - Bâtiment : VEL D'HIV (Vélodrome d'hiver rue Nélaton à Paris)


Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2014 pour PAL en danger


2 commentaires:

  1. J'ai aperçu ce billet ce matin, et avec la journée de boulot, j'ai attendu ce soir pour venir lire en détail. Ce livre semble d'une telle force dans tes mots qu'il en devient presque vivant, effrayant même... J'avoue que je m'étonne toujours de la réaction des gens sur cet évènement historique atroce parce que rien ne nous dit que ce genre de chose ne peut pas se reproduire... Et c'est avec le recul que l'on se rend compte de l'horreur. A l'époque, en dehors du Vel d'Hiv, les gens avaient-ils vraiment conscience ? Les lettres de ces prisonniers de l'enfer de la capitale doivent brûler les doigts... Je note ce livre qui doit être une vraie perle historique...
    Je me suis un peu égarée parce que ton article a envoyé mon esprit dans tous les sens. J'espère que tu cerneras ma réaction ;)
    Bonne chance dans la chute de ta PAL !

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    1. Merci, ton message me touche. Ce livre est effectivement très intéressant car mettant en lumière l'enfermement de l'intérieur du Vél d'Hiv. Quand je parle de censure, rien n'a filtré dans la presse et même les proches habitants du Vélodrome ont bien vu qu'ils se passaient quelque chose mais ils n'en connaissaient pas l'ampleur.
      C'est une période historique qui m'intéresse, je lis beaucoup de livres à ce sujet, qu'il s'agisse de fictions ou de témoignages.
      Ma chute de PAL se fait doucement mais sûrement !

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