dimanche 30 mars 2014

Un jour mes princes sont venus de Jeanne Benameur


"J'essaie une histoire d'amour, puis une autre, une autre encore, comme des vêtements jamais ajustés. J'ai beau chercher celui qui me liera à lui, je ne sais pas demeurer. Tout est à l'envers, je ne reconnais pas mon cœur. Et pourtant il bat." 
D'où lui vient ce peu de faculté à l'amour, elle qui en fille tenace accumule les fiascos. Décidée à comprendre, elle invoque ses amants. Attendrie par leur myopie, amusée par leurs mensonges, elle prend le parti d'en rire. N'est-ce pas le meilleur chemin pour atteindre la blessure enfouie : ce père - central mais en creux - trop vite parti, jamais quitté. Cet homme qui éclipse tous les autres et sans lequel elle doit apprendre à vivre. (Denoël)

A la fois conte moderne et éducation sentimentale, ce roman présente l'itinéraire amoureux quelque peu malheureux de sa narratrice, une jeune femme qui passe d'une histoire d'amour à l'autre sans trouver son prince et finissant par en appeler à son père décédé pour qu'il l'aide à comprendre les hommes : "Je voudrais que tu m'aides, mon père. J'ai besoin de toi. Apprends-moi les hommes. Apprends-moi comme c'est différent de moi.".
La narratrice revient avec un regard aiguisé parfois drôle, parfois tendre, parfois triste, sur les hommes qui ont jalonné sa vie.
Qu'ils aient été son amant ou son mari, ils ont tous fini par déclencher une peur en elle qui a eu pour résultat qu'elle ne s'est jamais accrochée complètement à aucun d'eux, elle a toujours fini par les quitter ou être quittée : "Qui ai-je aimé vraiment ? Pourquoi suis-je incapable de lien ? Pourquoi ce mot même déclenche-t-il au fond de moi une envie panique de fuite lointaine alors que je n'aspire qu'à me sentir liée à un homme ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Tant de fois pourquoi.".
Une fois dépendante d'un homme, l'autre fois femme libérée, elle a tout essayé mais en vain, rien n'y a jamais fait : "Je jouais les affranchies que je n'étais pas. Les mots ne font rien à l'affaire.".
Cette narratrice jamais nommée est particulièrement touchante dans ses échecs, notamment parce qu'elle prend le parti d'en rire alors qu'elle aurait pu dramatiser la chose, mais aussi parce qu'au fond cette narratrice c'est une petite part de nous, elle arrive à mettre des mots sur ce que toute femme a au moins ressenti une fois dans sa vie : l'incompréhension face à un homme, et vice-versa.
Il y a aussi une part importante de psychologie en arrière-fond de ce roman : le rôle et la place du père absent, trop tôt disparu et qui a perturbé sentimentalement parlant la narratrice, l'empêchant de se construire un modèle masculin qui lui permettrait de vivre une relation amoureuse épanouie.
Ce qu'elle n'a pas pu avoir par la force du destin chez son père, c'est auprès d'un ami plus âgé qu'elle va le retrouver et qui va lui permettre enfin de s'épanouir et de donner une dimension d'espérance à cette histoire qui aurait pu si facilement tomber dans le drame et le pathos égocentré.
Mais c'était sans compter sur le talent et la plume admirable de Jeanne Benameur, d'une poésie à couper le souffle, qui à travers de courts chapitres et une construction déstructurée réussit à livrer un roman logique du début à la fin, et de toute beauté.

"Un jour mes princes sont venus" est une belle réflexion poétique de Jeanne Benameur sur l'amour, ou plutôt sur les difficultés à rencontrer un homme, celui avec lequel bâtir sa vie, le tout sous la forme d'un quasi conte qui donne de l'espoir et l'envie d'y croire.

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