samedi 22 mars 2014

Le bataillon créole de Raphaël Confiant


Parle-moi de « Là-bas » ! Parle-moi surtout-surtout de La Marne, grand vent qui voyage sans répit de par le monde ! On dit que Théodore est mort dans une tranchée. Je ne comprends pas. Pourquoi l’armée de « Là-bas » se cachait-elle dans des trous au lieu de monter au front ? Pourquoi y attendait-elle que le Teuton fonde sur elle ? 
Man Hortense a perdu son fils Théodore, coupeur de canne émérite, à la bataille de la Marne, pendant la guerre de 14-18. Mais elle ne comprend pas ce qui s’est réellement passé sur ce front si loin de la Martinique… Théodore faisait partie du « bataillon créole » dans lequel des milliers de jeunes soldats s’enrolèrent pour aller combattre dans la Somme, la Marne, à Verdun et sur le front d’Orient, dans la presqu’île de Galipoli et aux Dardanelles. 
C’est du point de vue martiniquais, celui des parents des soldats, que Raphaël Confiant a choisi de nous faire vivre cette guerre. Il y a donc Man Hortense ; mais aussi Lucianise, qui tente d’imaginer son frère jumeau Lucien à Verdun ; Euphrasie, la couturière, qui attend les lettres de son mari, Rémilien, prisonnier dans un camp allemand. Et à leurs côtés, ceux qui sont revenus du front : rescapés, mutilés et gueules cassées créoles… 
Éloge de la mémoire brisée et sans cesse recousue, Le bataillon créole donne la parole à ces hommes et ces femmes qui, à mille lieues des véritables enjeux de la Grande Guerre, y ont vu un moyen d’affirmer leur attachement indéfectible à ce qu’ils nommaient la « mère-patrie ». (Mercure de France)

Je sors mitigée de cette expérience de la Première Guerre Mondiale vécue du côté du bataillon créole dans lequel des milliers de jeunes hommes se sont engagés pour aller combattre dans la Somme, dans la Marne, à Verdun, sur le front d'Orient, dans la presqu'île de Gallipoli et aux Dardanelles.
Le roman s'attache à raconter cet épisode du point de vue des familles martiniquaises : une mère dont le fils ne reviendra pas, une sœur dont le jumeau est mort "Là-bas", une femme dont l'amoureux est revenu meurtri à jamais dans sa chair et dans sa tête; mais également de façon rétrospective de celui des hommes partis qui sont morts dans cette guerre et des quelques uns qui en sont revenus.
Tous ces hommes se sont engagés pour montrer leur attachement à la "mère-patrie", cette lointaine métropole désignée par le terme "Là-bas", ils vivaient heureux sans rien demander à personne, ils vont se retrouver dans l'engrenage implacable de la guerre et son enfer : "Je n'étais qu'un simple éboueur municipal que la guerre avait arraché à son île des Amériques et charroyé jusqu'à ce monde inconnu.".
J'ai trouvé la construction de ce livre intéressante à travers cinq cercles qui se resserrent de plus en plus au plus près de l'horreur jusqu'à arriver en enfer, je regrette toutefois que la partie consacrée aux soldats soit moins importante que celles aux familles.
J'attendais plus de ce roman de découvrir cette guerre du regard de ces jeunes hommes partis pour défendre un pays qu'ils ne connaissaient que de nom plutôt que de celui des familles qui sont pleurent désormais leurs morts et apprennent à vivre sans eux.
Leur douleur est compréhensible et mérite d'être racontée, mais je n'en attendais pas autant.
Certaines parties ont fini par me lasser tandis que je retrouvais de l'intérêt dans celles s'attachant à décrire le quotidien et l'horreur de la guerre : "Parfois d'étranges statues à l'épiderme violacé : des fantassins, dont il était impossible de deviner la nationalité, cloués à la baïonnette d'un fusil comme qui dirait des épouvantails. Et dans l'air, cette odeur de mort qui flottait partout, qui imprégnait la terre, les arbres, les uniformes, les mains, des doigts, les cheveux.", ou encore celles présentant les pressentiments des soldats au front sur leur destin : "La Marne sera-t-elle mon tombeau ? J'en ai comme le pressentiment ...".
Mais là encore il manquait parfois une touche authentique, d'autant plus que la trame historique n'est pas respectée et que cela déstabilise de passer de 1914 à 1917 pour revenir en 1916, sans parler des retours en Martinique quelques années la guerre.
J'ai toutefois apprécié les descriptions de la vie en Martinique à cette époque, ainsi que ce point de vue sur l'Histoire plutôt inhabituel : il est courant de parler des soldats des colonies engagés dans ce combat, beaucoup moins du bataillon créole.
A ce titre, Raphaël Confiant leur rend un bel hommage à travers ce roman et permet de lever le voile sur une histoire plutôt méconnue du grand public en cette période de centenaire de la Première Guerre Mondiale.
Ce qui me gêne quelque peu également, c'est que j'ai finalement du mal à classifier ce roman : il ne tient ni de la fiction ni de l'historique, il contient une forme de réflexion politique et sociologique, sans doute que trop de genres sont mélangés dedans et m'ont quelque peu déstabilisée au cours de ma lecture.

"Le bataillon créole" de Raphaël Confiant est un bel hommage à ce bataillon venu défendre la "mère-patrie" dans des contrées qu'il ne connaissait pas et dans lesquelles il a souffert du froid, de la faim, de la mort.
Malgré mes quelques réserves, l'ensemble est intéressant et vaut d'être lu.

Livre lu dans le cadre du Prix Océans

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