jeudi 26 avril 2012

Cristallisation secrète de Yoko Ogawa


L'île où se déroule cette histoire est depuis toujours soumise à un étrange phénomène : les choses et les êtres semblent promis à une sorte d'effacement diaboliquement orchestré.
Quand un matin les oiseaux disparaissent à jamais, la jeune narratrice de ce livre ne s'épanche pas sur cet événement dramatique, le souvenir du chant d'un oiseau s'est évanoui tout comme celui de l'émotion que provoquaient en elle la beauté d'une fleur, la délicatesse d'un parfum, la mort d'un être cher. Après les animaux, les roses, les photographies, les calendriers et les livres, les humains semblent touchés : une partie de leur corps va les abandonner.
En ces lieux demeurent pourtant de singuliers personnages. Habités de souvenirs, en proie à la nostalgie, ces êtres sont en danger. Traqués par les chasseurs de mémoires, ils font l'objet de rafles terrifiantes... Un magnifique roman, angoissant, kafkaïen. Une subtile métaphore des régimes totalitaires, à travers laquelle Yoko Ogawa explore les ravages de la peur et ceux de l'insidieux phénomène d'effacement des images, des souvenirs, qui peut conduire à accepter le pire. (Actes Sud)



A travers ce roman flirtant en permanence avec le fantastique, la science-fiction et la poésie, Yoko Ogawa livre une formidable métaphore sur les régimes totalitaires.

L'histoire, racontée par une narratrice dont le lecteur ne connaîtra jamais le nom, se situe sur une île frappée par un étrange phénomène : depuis toujours des choses y disparaissent, physiquement mais également dans l'esprit de ses habitants. Ainsi, un matin ce sont les oiseaux qui disparaissent, puis un autre jour les roses, un autre les livres et ainsi de suite jusqu'au jour où ce sont des parties du corps qui disparaissent à leur tour. En même temps que ces choses disparaissent, elles le sont également de la mémoire collective et plus personne ne se souvient du chant des oiseaux, de l'odeur des fleurs, de l'utilité d'un livre ni même sa façon de l'écrire, comble absolu pour la narratrice dont le métier était écrivain.
Pour les récalcitrants qui ne veulent pas supprimer les choses disparues, il y a une police secrète en charge de surveiller la bonne mise en oeuvre des disparitions.
Et pour ceux incapables d'oublier, qui conservent leur mémoire et leurs souvenirs, ils disparaissent à leur tour, traqués par la police secrète et sont emmenés pour une destination inconnue.

La narratrice a vu sa mère, sculptrice, disparaître, emmenée par les chasseurs de mémoire qui ne rapporteront que sa dépouille.
Puis son père va mourir et elle se retrouvera seule avec le grand-père, l'un de ses voisins, et son éditeur qu'elle cachera chez elle aidée par le grand-père.
Très vite, l'histoire se centralise autour de ces trois personnages, reléguant les autres à des passagers traversant le récit à un moment donné.
Une relation particulière va se nouer entre la narratrice et son éditeur, elle ira même jusqu'à lui déclarer : "Mais c'est très difficile d'écrire des histoires dans cette île. On dirait qu'à chaque disparition qui se produit, les mots s'éloignent de plus en plus. Peut-être que si je réussis à continuer à écrire, c'est parce que votre coeur dont rien ne s'efface est toujours à mes côtés."
Sans dire quoi que ce soit sur l'héroïne, l'auteur a su créer une empathie avec le lecteur, et c'est un véritable tour de force.
Ces trois personnages sont très différents les uns des autres et pourtant deviendront vite indissociables les uns des autres, créant une symbiose entre eux.
Et lorsque le grand-père ne sera plus là, la narratrice ne pourra que se confier à son éditeur, notamment lorsque les membres commencent à disparaître et que malgré ses efforts elle n'arrive pas à se souvenir des choses effacées : "Mon coeur endormi ? S'il était seulement endormi, ce serait bien, mais il s'est effacé et il a disparu."

Ce récit se lit facilement grâce à la finesse de l'écriture de l'auteur, et c'est tout en subtilité qu'elle amène le lecteur vers l'angoisse, la peur, une métaphore des régimes totalitaires où des personnes disparaissent du jour au lendemain vers une destination inconnue.
Yoko Ogawa réveille les peurs et les souvenirs d'un passé pas si lointain que cela où le pire finit par être accepté puisque parmi ceux qui subissent des pertes personne ou presque ne se révolte et tous ou presque les acceptent; et où des rafles sont organisées par la police secrète pour traquer et fair disparaître ceux qui se souviennent.

Il s'agissait d'une première lecture de cette auteur, j'en suis bouleversée et conquise, "Cristallisation secrète" étant un roman superbe qu'il ne faut ignorer sous aucun prétexte.
L'exercice aurait pu être délicat mais Yoko Ogawa le réussit avec aisance, livrant ainsi un roman captivant et envoûtant, au titre mystérieux, qui secoue le lecteur au plus profond de son être et de son âme.

Ce livre a été lu dans le cadre du challenge ABC critiques 2011/2012 - Lettre O

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