lundi 23 juillet 2012
J'ai pas pleuré d'Ida Grinspan et Bertrand Poirot-Delpech
Déportée à 14 ans, rescapée d'Auschwitz, Ida Grinspan nous livre son témoignage sur l'horreur des camps de concentration. Dans un dialogue tout en pudeur, sa voix se mêle à celle de Bertrand Poirot-Delpech. Elle lui raconte l'indicible : la faim, la peur, la mort qui rôde. Ensemble, ils relatent également les difficultés de " l'après ", ce douloureux retour à la vie et à l'espoir. A lire pour ne pas oublier " l'oubli serait aussi intolérable que les faits eux-mêmes ". (Pocket Jeunesse)
Avec ce livre, Ida Grinspan aidée de Bertrand Poirot-Delpech, revient sur sa jeunesse durant la Seconde Guerre Mondiale brusquement interrompue par son arrestation par les gendarmes français sur dénonciation et sa déportation à l'âge de 14 ans à Auschwitz.
Elle échappera à la mort lors de la sélection grâce à son allure, à une coiffure qui la vieillissait.
Par la suite, sur les conseils d'une déportée française, elle dira systématiquement qu'elle a 16 ans, ce qui la sauvera, entre autres, d'une mort certaine.
Découpé en trois parties : la vie dans le Poitou où ses parents l'ont cachée dès le début de la guerre jusqu'à l'arrestation, la survie à Auschwitz et la "marche de la mort" et enfin l'après, Ida Grinspan se livre et se raconte à travers de courts chapitres, parfois guidée par des questions bien précises, avec comme volonté de faire connaître ce qu'elle a vécu :"Je n'oublie pas que j'ai reçu une mission sacrée. Je revois les femmes qui me l'ont confiée, en partant pour le Revier, antichambre de la mort : "Si vous rentrez, il faudra leur dire. Ils ne vous croiront pas, mais il faudraleurdire".", malheureusement elle le constatera elle-même ainsi que d'autres déporté(e)s :"Après la guerre, nous avons cru que le nazisme et ses méthodes étaient anéantis à jamais. Quand nous avons appris, plus tard, les massacres au Cambodge et au Rwanda, nous avons dû admettre que la leçon d'Auschwitz n'avait pas été tirée."
Ida Grinspan passera deux hivers à Auschwitz, elle reviendra malade et orpheline, parfois elle craquera mais jamais devant les gendarmes, les kapos, la faim, la mort, elle le dit elle-même : "J'ai pas pleuré".
Avec ce livre, elle ne fait pas que livrer son histoire mais partage aussi ses réflexions, ses pensées :"C'est simple : je pense qu'on ne revient jamais complètement d'Auschwitz. J'y ai laissé une partie de moi-même, la "petite Ida".", également ses doutes :"En me relisant, je ne suis pas certaine d'avoir insisté sur la déshumanisation des camps. N'être qu'un numéro, ne rien posséder de personnel qu'une gamelle et une cuillère, avoir constamment faim, toujours froid durant les longs hivers, être épuisée, battue et craindre le pire à chaque instant ..."
Ida Grinspan porte un regard juste et sans haine sur son passé et ce qu'elle a vécu pendant ces deux années, elle reconnaît que l'amitié y a joué pour beaucoup dans sa survie à Auschwitz-Birkenau : "Ida ne perd jamais de vue que l'amitié était leur planche de salut.", mais également des chances : une fragilité touchante au camp, une infirmière polonaise qui se battra pour la soigner et qu'elle ne reverra alors que celle-ci est sur le point de mourir.
C'est cette somme de tout et une immense fraternité entre déportées qui font qu'Ida a réussi à survivre et qu'elle est revenue des camps, ou en tout cas qu'une partie d'elle est revenue, l'autre y restant à jamais.
Ce témoignage est intéressant à plus d'un titre, tout d'abord Ida Grinspan était relativement jeune lorsqu'elle a été déportée, sa jeunesse a été brutalement interrompue et n'a jamais repris son cours, ensuite elle évoque la vie dans le camp de façon détaillée : les appels interminables, la faim, le froid, la soupe claire, la maladie, le travail dans les kommandos, les kapos, mais revient également sur des épisodes moins connus comme l'explosion d'un crématoire par une révolte des sonderkommandos et un qui m'a particulièrement touchée : Mala, une jeune femme très courageuse qui le paya de sa vie.
Le passage narrant la "marche de la mort" et l'arrivée à Ravensbrück est tout aussi intéressant et très poignant avec le dévouement de Wanda, cette infirmière polonaise qui luttât pour qu'Ida vive.
Mais l'intérêt de ce témoignage réside aussi dans la troisième partie où l'auteur revient sur "l'après", sa convalescence en Suisse en compagnie d'autres déportées, notamment Charlotte Delbo qui a elle aussi témoigné dans des livres de sa déportation, où elle découvre la Résistance, mais ce qui prévaut par dessus tout, c'est sa volonté de vivre, de fonder une famille et d'avoir des enfants.
Son plus grand regret est de ne pas avoir pu faire d'études, alors qu'elle était très bonne élève la déportation lui a ôté toute chance de faire des études supérieures pour avoir un bon métier, quand elle est revenue de convalescence elle n'a pas pu reprendre.
A notre époque faire des études supérieures est devenu une chose plutôt courante, cela m'a d'autant plus touchée et bouleversée, car c'est là l'un des regrets d'Ida, comme elle dit clairement dans son récit.
Il ne faut pas se méprendre, si Ida Grinspan témoigne de son histoire avec ce livre, ce n'est pas pour une thérapie personnelle mais bien parce qu'elle s'en est fait la promesse, et en cela je la remercie, car son témoignage est particulièrement touchant, sans aucune haine ni violence mais avec de la clairvoyance.
"J'ai pas pleuré" est un livre qu'il faut livre pour ne pas oublier, pour savoir "ce que des hommes ont été capables de faire à d'autres hommes, uniquement parce qu'ils étaient nés" et aussi pour qu'un jour, enfin, cela ne se reproduise plus.
Martin Niemöller, pasteur, 1945 : "Lorsque les Nazis vinrent chercher les communistes, je me suis tu : je n'étais pas communiste. Lorsqu'ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je me suis tu : je n'étais pas social-démocrate. Lorsqu'ils sont venus chercher les Juifs, je me suis tu : je n'étais pas Juif. Quand ils sont venus chercher les catholiques, je me suis tu : je n'étais pas catholique. Et quand ils sont venus me chercher, il n'y avait plus personne pour protester."
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