mardi 3 juillet 2012

Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan


« La douleur de Lucile, ma mère, a fait partie de notre enfance et plus tard de notre vie d’adulte, la douleur de Lucile sans doute nous constitue, ma sœur et moi, mais toute tentative d’explication est vouée à l’échec. L’écriture n’y peut rien, tout au plus me permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire. La famille de Lucile, la nôtre par conséquent, a suscité tout au long de son histoire de nombreux hypothèses et commentaires. Les gens que j’ai croisés au cours de mes recherches parlent de fascination ; je l’ai souvent entendu dire dans mon enfance. Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence. Le livre, peut-être, ne serait rien d’autre que ça, le récit de cette quête, contiendrait en lui-même sa propre genèse, ses errances narratives, ses tentatives inachevées. Mais il serait cet élan, de moi vers elle, hésitant et inabouti. » Dans cette enquête éblouissante au cœur de la mémoire familiale, où les souvenirs les plus lumineux côtoient les secrets les plus enfouis, ce sont toutes nos vies, nos failles et nos propres blessures que Delphine de Vigan déroule avec force. (Lattès)

Après quelques romans ayant été des succès en librairie, Delphine de Vigan s'est lancée dans un exercice difficile et plus intime : raconter l'histoire de sa mère, son enfance, son adolescence, l'entrée dans l'âge adulte, le mariage, la maternité et puis la maladie, ce trouble bipolaire qui la conduira à être internée, où elle finira par reprendre pied dans la réalité après 10 ans de traitement, jusqu'à sa mort, son suicide.

Il pourrait être possible de voir ce livre comme une thérapie de la part de l'auteur, cela l'est sans doute un peu mais il n'y a pas que cela.
J'ai ressenti tout au long de ma lecture que c'était aussi une façon pour elle de rendre hommage à sa mère, de coucher sur papier sa vie pour que les générations futures puissent la connaître, et également de pardonner à sa mère ce qu'elle lui a fait subir durant son enfance, son adolescence et sa vie d'adulte.
Comme si, en écrivant ce livre, Delphine de Vigan réussissait à mieux cerner sa mère : "Lucile est morte comme elle le souhaitait : vivante. Aujourd'hui, je suis capable d'admirer son courage."
L'exercice était pourtant périlleux, car comme le dit l'auteur, écrire sur sa mère a été fait par de nombreux auteurs, de façon plus ou moins heureuse d'ailleurs, et puis en écrivant sur ce sujet c'est toute une partie de son intimité que l'on dévoile.
D'ailleurs la photo illustrant la couverture de ce livre est une photographie de Lucile.
Pourtant, ce récit est sans fausse note, sans pudeur ni déballage excessif, c'est un juste compromis entre la part d'intime et la part publique de la vie de cette femme, de ses souffrances.

Pendant la première partie du livre, l'auteur raconte l'enfance de sa mère à partir des entretiens qu'elle a eus avec ses oncles et tantes tout en restant libre sur certaines parties dont elle ne peut que tirer des spéculations :"Mais la vérité n'existait pas. Je n'avais que des morceaux épars et le fait même de les ordonner constituait déjà une fiction. Quoi que j'écrive, je serais dans la fable."
Elle ponctue également le récit de son journal d'écriture, des doutes qu'elle a eus en se lançant dans ce projet, de ses peurs sur l'accueil qu'il allait recevoir par sa famille et ensuite par le public.
J'ai trouvé agréable que l'auteur livre ses doutes et ses hésitations, cela accentue le caractère authentique du récit et plutôt que de l'éloigner du lecteur cela au contraire la rapproche.
Il y a un recul voulu dans cette première partie, Delphine de Vigan ne se permettant de nommer sa mère que par son prénom.
Il faudra attendre la deuxième partie et qu'enfin elle soit née pour qu'elle se permette d'écrire "ma mère" en continuant son récit.
Delphine de Vigan raconte tout : les joies, les bonheurs de sa famille, mais également les drames, les morts qui la jalonnent et surtout les secrets enfouis qu'il ne faut à aucun prix divulguer.
J'ai trouvé que ce récit était représentatif de ce qu'est une famille sur plusieurs générations et surtout, cette histoire nous renvoie chacun vers notre propre histoire familiale et le résumé fait par Delphine de Vigan de sa famille s'applique finalement à chacun de nous :"Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l'écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd'hui je sais aussi qu'elle illustre, comme tant d'autres familles, le pouvoir de destruction du verbe, et celui du silence."
Le style est remarquable, l'écriture est fluide et le récit bien construit et structuré.
Cette histoire intime se lit tout simplement d'une seule traite et avec grand plaisir, sans avoir à aucun moment la sensation de pénétrer dans l'intimité d'une famille qui n'est pas la nôtre.

Avec "Rien ne s'oppose à la nuit" Delphine de Vigan, touchée par la grâce et portée par l'histoire de cette mère si peu ordinaire, a frappé un grand coup en cette rentrée littéraire 2011 et s'impose comme une auteur sur qui il faudra compter et non pas uniquement comme une auteur à succès de librairie.
Et si, comme le chante Alain Bashung "Plus rien ne s'oppose à la nuit", tout, au contraire, justifie la lecture de ce formidable récit de Delphine de Vigan.

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