mercredi 11 juillet 2012

Tangente vers l'Est de Maylis de Kerangal


«Ceux-là viennent de Moscou et ne savent pas où ils vont. Ils sont nombreux, plus d’une centaine, des gars jeunes, blancs, pâles même, hâves et tondus, les bras veineux le regard qui piétine, le torse encagé dans un marcel kaki, allongés sur les couchettes, laissant pendre leur ennui résigné dans le vide, plus de quarante heures qu’ils sont là, à touche-touche, coincés dans la latence du train, les conscrits.» Pendant quelques jours, le jeune appelé Aliocha et Hélène, une Française montée en gare de Krasnoïarsk, vont partager en secret le même compartiment, supporter les malentendus de cette promiscuité forcée et déjouer la traque au déserteur qui fait rage d’un bout à l’autre du Transsibérien. Les voilà condamnés à fuir vers l’est, chacun selon sa logique propre et incommunicable. (Verticales Phase Deux)


Avec "Tangente vers l’est", Maylis de Kerangal met en place un huis clos se déroulant dans un train mythique : le Transsibérien, entre un homme et une femme ne parlant pas la même langue et ne communiquant entre eux que par signes.

Entre Aliocha et Hélène, c’est une relation de cohabitation qui se développe dans l’espace restreint d’un compartiment du Transsibérien : "La ligne mythique : deux rails en forme de ligne de fuite qui la conduiraient jusqu'au Pacifique. La piste de la liberté qui donnait sur l'océan.".
Lui prend le chemin de la Sibérie pour y faire son service militaire et ne cherche qu’à y échapper, elle fuit son amant russe rencontré en France pour rentrer chez elle.
Aussi improbable que cela puisse paraître, ces deux êtres que tout oppose vont nouer une relation de complicité et vont s’entre-aider tout au long de leur trajet vers l’est : "La seule chose qu'il sait, c'est qu'à l'instant où les deux femmes ont frappé à la porte, elle est passée dans son camp, à la seconde où elle a ouvert pour leur faire vérifier qu'elle était bien seule, à cette seconde-là, elle est devenue sa complice. Elle ne sait peut-être même pas pourquoi elle a fait ça, peut-être par jeu, pour jouer le jeu. Mais elle n'a pas agi sous la menace, il en est certain : elle, c'est une autre histoire, il ne sait pas laquelle mais c'est autre chose."
Comme eux, le lecteur avance de Moscou à Vladivostok, vit au rythme des arrêts du train et des paysages russes, tremble avec Aliocha lors de la traque de l’armée russe pour le retrouver et suit avec un certain intérêt ce jeu de cache-cache dans un train.
Le style d’écriture de Maylis de Kerangal est, tout comme dans son précédent roman "Naissance d’un pont", brut, percutant, mêlant des moments de poésie à d’autres plus familiers.
C’est là une façon de traduire les sentiments qui habitent les personnages et d’essayer de mettre le lecteur en plein cœur de son récit.
Je dis bien essayer, car pour ma part si j’ai été emballée par ce périple et par l’interaction des deux personnages, j’ai tout de même eu la sensation tout au long de ma lecture de ce court roman d’avoir un pied dans le train et l’autre sur le marchepied.

"Tangente vers l’est" est une épopée ferroviaire intimiste effleurant l’âme russe et transportant le lecteur de Moscou à Vladivostok dans un style percutant propre à Maylis de Kerangal, un voyage qui ne se refuse pas et s’effectue, au contraire, hors des sentiers battus touristiques pour proposer une autre vision de la Russie.


Livre lu dans le cadre du Prix Océans


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