jeudi 12 juillet 2012

Notre-Dame du Nil de Scholastique Mukasonga


Au Rwanda, un lycée de jeunes filles perché sur la crête Congo-Nil, à 2 500 mètres d'altitude, près des sources du grand fleuve égyptien. Les familles espèrent que dans ce havre religieusement baptisé Notre-Dame du Nil, isolé, d'accès difficile, loin des tentations de la capitale, leurs filles parviendront vierges au mariage négocié pour elles dans l'intérêt du lignage. Les transgressions menacent au cœur de cette puissante et belle nature où par ailleurs un rigoureux quota " ethnique " limite à 10 % le nombre des élèves tutsi. Sur le même sommet montagneux, dans une plantation à demi abandonnée, un " vieux Blanc ", peintre et anthropologue excentrique, assure que les Tutsi descendent des pharaons noirs de Méroé. Avec passion, il peint à fresques les lycéennes dont les traits rappellent ceux de la déesse Isis et d'insoumises reines de Candace sculptées sur les stèles, au bord du Nil, il y a trois millénaires. Non sans risques pour la jeune vie de l'héroïne, et pour bien d'autres filles Prélude exemplaire au génocide rwandais, le huis clos où doivent vivre ces lycéennes bientôt encerclées par les nervis du pouvoir hutu, les amitiés, les désirs et les haines, les luttes politiques, les complots, les incitations aux meurtres raciaux, les persécutions sournoises puis ouvertes, les rêves et les désillusions, les espoirs de survie, fonctionne comme un microcosme existentiel fascinant de vérité, décrit d'une écriture directe et sans faille. Scholastique Mukasonga, rescapée du massacre des Tutsi, nous donne ici son premier roman, où des jeunes filles à mains nues tentent d'échapper à l'Histoire monstrueuse qui a décimé sa propre famille. (Gallimard)


Notre-Dame du Nil, c’est un internat situé au Rwanda, proche de la source du Nil, tenu par des religieuses et réservé aux jeunes filles de l’élite d’un pays qui vient d’acquérir son indépendance avec un quota "ethnique" rigoureux limitant à 10% le nombre d’élèves Tutsi.
C’est le quotidien de cet internat sur une année que Scholastique Mukasonga propose au lecteur de suivre dans ce roman.

J’ai doublement été touchée lors de la lecture de ce roman.

Tout d’abord l’histoire est d’un propos simple mais elle revêt une beauté et une forme de pudeur touchantes et envoûtantes.
Les jeunes filles dont il est question sont toutes attachantes, émouvantes, différentes les unes des autres.
Ainsi il y a celle qui tombera enceinte d’un diplomate zaïrois, celle qui se prêtera à la folie d’un "vieux blanc" croyant que les Tutsis sont les descendants des pharaons noirs, celle qui fille d’un politicien nourrit des ambitions politiques ou bien celles issues de familles plutôt modestes qui espèrent avoir un bel avenir.

Et puis j’ai appris un certain nombre de choses sur la société rwandaise et son mode de fonctionnement.
J’aime qu’un livre réveille ma curiosité et me donne envie d’en connaître plus sur un sujet.
Avec celui-là ce fut le cas, puisqu’il m’a permis de me rendre compte que je n’avais qu’une vision sommaire de ce que fut le génocide au Rwanda, une vision étriquée sans avoir toutes les cartes en main pour en comprendre les tenants et les aboutissants.

J’ai été frappée par le fait que l’auteur a su garder de la distance par rapport à son récit mais paradoxalement, à certains moments j’aurais aimé qu’elle s’engage dans ses écrits et brise cette distance pour laisser éclater son ressenti.
L’auteur casse régulièrement le rythme de son récit, en partant sur une histoire somme toute banale elle y fait intervenir brusquement le drame, et c’est là sans nul doute la plus grande réussite de l’écriture de Scholastique Mukasonga.
La haine, la violence, les prémices de l’épuration ethnique de 1994 sont présents à chaque page du livre, à chaque moment du récit, dans chacune des paroles de certaines jeunes filles.
Il n’y a pas de réel repère spatio-temporel mais l’aboutissement était inéluctable et l’on comprend, à la lecture de ce livre, que le génocide rwandais avait pris ses racines plusieurs dizaines d’années auparavant, se nourrissant dans un terreau de haine des Hutus envers les Tutsis alors que ces derniers avaient été à la tête du pays auparavant lorsque le pays était une colonie allemande : "Tu vois, Modesta, rien n'empêchera jamais les Tutsi de faire du trafic : même quand ils conduisent leurs filles pour la rentrée, il faut que ça leur rapporte.".
En ce sens, comme si la claque que représente l’ensemble du livre ne suffisait pas, la fin vient assommer le lecteur tant elle est criante de vérité, avec un désespoir clairement exprimé et annonciateur du massacre qui aura lieu quelques années plus tard mais également avec une lueur d’espoir, d’apaisement, de retour à la paix : "Je ne veux plus rester dans ce pays. Le Rwanda, c'est le pays de la Mort. [...] La Mort a établi son règne sur notre pauvre Rwanda. [...] Je reviendrai quand le soleil de la vie brillera à nouveau sur notre Rwanda. J'espère que je t'y reverrai.".

"Notre-Dame du Nil" est un livre qui démontre clairement qu’au-delà de l’ordinaire, de la banalité d’une vie de pensionnat de jeunes filles, l’indicible et l’horreur ne sont jamais loin, tapis dans l’ombre et prêts à surgir au nom de soi-disant idéaux ethniques.
C’est aussi une formidable ouverture sur l’Afrique, la complexité de ce continent, à travers le prisme d’un pays : le Rwanda.
"Notre-Dame du Nil" est une lecture que je ne suis pas prête d’oublier et qui marque les esprits de façon permanente.


Livre lu dans le cadre du Prix Océans


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire