jeudi 20 juin 2013

Alger la noire de Jacques Ferrandez et Maurice Attia


Alger, fin janvier 1962. Sur l’une des plages de la ville, on retrouve les cadavres nus de deux jeunes gens enlacés. Elle est européenne, lui arabe. Il est émasculé et son dos arbore, gravées au couteau, les trois lettres « OAS ». Exécution presque ordinaire au titre du nettoyage ethnique, comme on pourrait le penser en ces temps plus que troublés ? Ou bien l’assassinat de Mouloud et d’Estelle cache-t-il autre chose ? S’échappant de la terne routine de son commissariat de Bab El Oued, l’inspecteur Paco Martinez mène l’enquête flanqué de l’irascible Choukroun, le vieux flic juif qui lui sert de mentor. Rythmées par les plasticages et les règlements de compte, qui ne cessent d’empoisonner un peu plus une atmosphère déjà irrespirable, leurs investigations les conduiront dans les coulisses et les arrières cours bien peu reluisantes de la grande ville, entre passions politiques, affairisme, banditisme, moeurs dissolues et violence omniprésente. Oui, décidément, Alger la blanche pourrait tout aussi bien s’appeler Alger la noire… 
Trois ans après avoir mis un point final à ses Carnets d’Orient, Jacques Ferrandez renoue avec sa passion pour Alger à l’orée des sixties, dans un grand polar bien sombre inspiré du roman de Maurice Attia. (Casterman)

Adapté du roman éponyme de Maurice Attia, "Alger la Noire" plonge le lecteur au cœur d’Alger, en 1962, en pleine guerre d’Algérie qui connaîtra son épilogue quelques mois après la fin de l’histoire et pendant la bataille de Bal-El-Oued et la fusillade de la rue d’Isly.
C’est au milieu des explosions de bombes et des plasticages que l’inspecteur Paco Martinez flanqué du vieux flic Choukroun vont enquêter sur le double meurtre d’une jeune fille française de bonne famille et d’un jeune algérien.
Sur le dos du jeune homme, une inscription : OAS.
Mais est-ce vraiment l’OAS qui aurait ainsi signé ce double meurtre ou faut-il voir une autre signification dans ce sigle ?
C'est en tout cas ce que suggère Irène, la maîtresse de Paco : "OAS ... c'est peut-être "oraison pour un amour secret".".

Dans cette Algérie déchirée, un tel meurtre en devient banal tant il y a de morts tous les jours, et cela n'émeut pas grand monde qu'un jeune algérien ait été assassiné, certains penseraient même que c'est bien fait pour lui, parce contre, que la fille d'un homme ait été influent, cela nécessite une enquête de police, mais sans trop approfondir non plus pour ne pas dévoiler au grand jour des secrets de famille.
Le contexte de l'Algérie dans les années 60 est très bien rendu dans cette bande dessinée, à la fois dans l'histoire et dans le dessin.
Les pieds-noirs ne se font pas d'illusions, même né en Algérie ils savent que bientôt ils devront quitter leur pays pour la France, comme le laisse entendre Choukroun, le vieux flic qui a à peu près tout vu dans sa carrière : "Je pars en éclaireur. Quand tu viendras à ton tour, je t'apprendrai les nouvelles règles du jeu ... Ca sera facile pour personne de s'habituer à la France et aux français. Ils vont pas nous accueillir à bras ouverts, c'est sûr ...".
C'est une histoire noire, sordide, mais parfumée aux dernières effluves d'une Algérie encore française pour quelques mois : "L'Algérie est bientôt indépendante, les pieds-noirs sont en marche pour l'exil ... le pays est plongé dans une guerre fratricide et une haine définitive entre les communautés ... Alger la blanche est devenue Alger la noire.".
C'est également complexe, à la fois pour trouver le coupable et la raison de ce double meurtre mais aussi dans les relations entre les personnages.
Paco est un homme torturé qui vit dans le remords de ne pas avoir accompagné sa maîtresse Irène lors d'une soirée où elle a perdu une jambe suite à l'explosion d'une bombe, il s'en veut mais il l'aime également comme elle est et se confie à elle, ils ne sont pas mariés mais ils ont leurs habitudes de couple : "Aux rituels ... On s'engueule, on baise, tu m'allumes une clope ... et je fume ... l'ordre des choses.".
Ce couple a un côté touchant et revêt une forme d'amour idéal.
Cette histoire est très humaine, elle véhicule beaucoup de sentiments ; l'amour, charnel ou filial, l'amitié, la haine, la violence, c'est un véritable prisme des relations humaines et le contexte rend cet aspect encore plus fort.
Elle laisse également peu place à l'espoir, je n'en suis pas ressortie heureuse, mais je lui reconnais une certaine forme de beauté, particulièrement dans le graphisme et les couleurs qui sont vraiment magnifiques et justifient à eux seuls la lecture de cette bande dessinée, qui m'a transportée au cours de ma lecture dans l'Algérie des années 60 et m'a ainsi permis d'avoir un aperçu des tensions qui régnaient à l'époque et des communautés qui se déchiraient.

"Alger la noire" est une très belle adaptation par Jacques Ferrandez du roman de Maurice Attia qui permet au lecteur de remonter le temps et de vivre les derniers mois de l'Algérie française ainsi que le basculement dans la haine de deux communautés.
Cette bande dessinée a également le mérite de m'avoir donné envie de découvrir l'oeuvre originale dont elle s'est inspirée.

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