mercredi 26 juin 2013

L'écume des jours de Boris Vian


Un titre léger et lumineux qui annonce une histoire d’amour drôle ou grinçante, tendre ou grave, fascinante et inoubliable, composée par un écrivain de vingt-six ans. C’est un conte de l’époque du jazz et de la science-fiction, à la fois comique et poignant, heureux et tragique, féerique et déchirant. Dans cette œuvre d’une modernité insolente, livre culte depuis plus de cinquante ans, Duke Ellington croise le dessin animé, Sartre devient une marionnette burlesque, la mort prend la forme d’un nénuphar, le cauchemar va jusqu’au bout du désespoir. Mais seules deux choses demeurent éternelles et triomphantes : le bonheur ineffable de l’amour absolu et la musique des Noirs américains… (Le Livre de Poche)

J'avais découvert ce roman il y a plusieurs années et j'ai eu envie de le relire.
Grand bien m'en a fait, car je ne me souvenais pas de certaines choses et j'ai découvert certains niveaux de lecture que je n'avais pas soupçonnés lors de ma première découverte de cette oeuvre.
Il y est beaucoup question d'amour, sous toutes ses formes : l'Amour avec un grand A, celui de Colin et de Chloé, l'amour familial, de Nicolas envers sa nièce Alise, l'amour intéressé de Chick et Alise, unis par leur fascination de l'écrivain Jean-Sol Partre, l'amour physique de Nicolas pour Isis, l'amour du jazz de l'auteur, musiques et références omniprésentes dans tout le roman.
Mais comme le dit la chanson : "Les histoires d'amour finissent mal en général", il est aussi beaucoup question de la mort, souvent désinvolte, inaperçue, et ne choquant pas les esprits, comme celle des patineurs qui sont éliminés de la piste pour faire place nette, ou la fin de Jean-Sol Partre, au café, assassiné comme Jean Jaurès; mais aussi une mort qui détruit l'Amour, la Vie, le Bonheur et conduisant les êtres à errer dans le malheur, le désespoir et la pauvreté.
Les personnages ont d'ailleurs une conception particulière de l'argent, il est bien vu d'en avoir mais comme finit par dire Cholé : "A quoi ça sert, ça n'empêche rien.".
Si l'amour engendre l'amour, l'amour engendre aussi la mort, et la mort appelle la mort.
Vision plutôt pessimiste de la vie, et que l'auteur choisit de traiter de manière forte et engagée, au travers d'une galerie de personnages variés, Colin en tête de fil : "Toi non plus, tu ne ressembles à rien de connu.".
Si Cholé et Colin représentent le couple idéal, l'amour absolu, bien que je 'en ai pas le sentiment à 100%, Chick illustre les travers du fanatisme avec sa passion extrême à l'encontre de Jean-Sol Partre qui le conduit à se ruiner pour acquérir ses oeuvres et ses objets au détriment de son sa vie personnelle et des personnes qui l'aiment.
En ce sens, Chick est l'inverse du personnage de Colin alors qu'ils sont les meilleurs amis dans la vie.
Le personnage de Colin est tout de même central et moteur pour tous les autres : "Ce qui m'intéresse, ce n'est pas le bonheur de tous les hommes, c'est celui de chacun.", avec un coeur énorme et toujours prêt à aider les autres pour qu'ils soient comme lui, heureux, et refusant de croire que les personnes peuvent changer : "Les gens ne changent pas. Ce sont les choses qui changent.".
Sans doute un petit côté candide mais qui arrive à émouvoir le lecteur.
La mort est également très présente, qu'il s'agisse d'assassinats ou de maladies.
C'est le personnage de Chloé qui porte en lui la maladie et ce, assez tôt dans le roman.
Difficile de ne pas voir dans ce nénuphar qui lui pousse dans le poumon un cancer qui coloniserait petit à petit son corps.
La maladie a pour conséquence d'entraîner la ruine, car Colin dépense toute sa fortune en fleurs pour sauver Cholé, et il doit alors travailler bien qu'il ait cela en horreur.

Il ne faut pas être rebuté par l'aspect surréaliste de ce roman, l'espace n'est jamais défini, la maison d'adapte au gré de l'humeur de ses habitants (plus la maladie s'installe plus elle rétrécit et moins le soleil pénètre dedans), et le lecteur perd tout repère par rapport à son mode de pensée et de vie.
Ainsi, il est mal vu de travailler, d'être pauvre, un ouvrier gagne bien mieux sa vie qu'un ingénieur, et Boris Vian a peuplé son récit d'inventions toutes plus improbables les unes que les autres.
Ce qui frappe sans doute le plus, c'est que dans cet univers aux codes modifiés les personnages agissent de façon cohérente.
Boris Vian distille aussi au cours de son récit une critique envers la religion, et ce par deux fois.
Au cours du mariage, elle est avide d'argent et Dieu fait l'honneur d'y assister, c'est l'inverse pour l'enterrement; ainsi qu'une critique sous-jacente de la guerre, avec des fusils qui poussent tels des fleurs.
Et au milieu de ce tumulte, il y a la petite souris grise à moustaches noires, spectatrice de cet univers qui s'effrite pour sombrer dans un marécage de désespoir.

Lecture intemporelle, "L'écume des jours" de Boris Vian reste un récit bouleversant et original sur des bien des aspects, qui ne cesse à chaque fois de surprendre le lecteur pour le transporter dans un monde à la fois surréaliste et à la fois proche de celui qu'il connaît et qu'il côtoie tous les jours.

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