vendredi 15 novembre 2013
Le chant du monde de Jean Giono
Le matin fleurissait comme un sureau. Antonio était frais et plus grand que nature, une nouvelle jeunesse le gonflait de feuillages. -Voilà qu'il a passé l'époque de verdure, se dit-il. Il entendait dans sa main la truite en train de mourir ; Sans bien savoir au juste, il sa voyait dans son île, debout,, dressant les bras, les poings illuminés de joies arrachées au monde, claquantes et dorées comme des truites prisonnières. Clara, assise à ses pieds, lui serrait les jambes dans ses bras tendres. (Folio)
Ma seule et unique lecture à ce jour de Jean Giono était "Le hussard sur le toit" il y a plusieurs années de cela.
La beauté du texte m'avait tellement émue que je n'avais pas pu ouvrir depuis lors un autre livre de cet auteur.
Ce sont des choses qui arrivent, parfois.
Et puis, je suis tombée sur ce résumé et poussée par la curiosité j'ai eu envie de lire un autre roman de Jean Giono.
J'avais oublié à quel point la lecture de cet auteur peut être viscérale.
Dans "Le chant du monde", je n'ai pas été que transportée par l'histoire mais j'ai vécu avec les personnages, je les ai suivis en pays Rebeillard et j'ai vécu leur épopée.
Antonio est l'homme du fleuve, celui qu'on appelle "Bouche d'or", qui charme par sa voix et vole des nuits aux jeunes femmes; tandis que son ami Matelot est un homme des bois qui vient le trouver, inquiet parce que son fils, le Besson, l'homme aux cheveux rouges, est parti chercher du bois en pays Rebeillard et n'est toujours pas revenu.
C'est le seul fils qu'il leur reste, à Matelot et sa femme Junie.
Antonio n'hésite pas un instant à accompagner son vieil ami en pays Rebeillard, et durant leur périple, leur route croisera celle de Clara, une jeune accouchée aveugle qui touchera au plus haut point Antonio, transformant cet homme en un amoureux qui ne se sait pas, prêt à tout pour la femme qu'il a choisi : "Il aurait voulu être désigné seul par la vie pour conduire Clara à travers tout ce qui a une forme et une couleur.".
Quant à Matelot, il lui faudra apprendre à comprendre ce fils qu'il a pourtant engendré et dont il ne sait ce qu'il est devenu et ce qu'il a bien pu faire en pays Rebeillard : "On ne fait pas des enfants rien qu'avec du lait caillé, vieux père. Et on ne les fait pas comme on veut. On les fait comme on est et ce qu'on est on ne sait pas. On a tant de choses dans son sang.".
"Le chant du monde" est un roman vivant, véritable hymne à la Nature, un personnage à part entière : "Ça sentait la mousse et la bête.Ça sentait aussi la boue; cette odeur âpre, un peu effrayante qui est l'odeur des silex mâchés par l'eau. De temps en temps il y avait aussi une odeur de montagne qui venait par le vent devant. Antonio releva sa manche de chemise et il renifla tout le long de son bras. Il avait besoin de cette odeur de peau d'homme.".
C'est au rythme de trois saisons que les personnages vont évoluer : tout d'abord l'automne, période à laquelle ils entament leur périple vers le pays Rebeillard, l'hiver qu'ils y passent et enfin le printemps qui éclot et les ramène à leur point de départ.
Les personnages ne sont pas les seuls à évoluer durant ces trois saisons, la Nature elle aussi s'adapte, jusqu'à devenir hostile sous la neige pour renaître au dégel et redevenir une alliée, mais toujours omniprésente, à la fois dans l'esprit des personnages : Antonio n'attend que de pouvoir se baigner nu dans sa rivière comme il le fait d'ordinaire, et dans le récit de l'auteur.
Quant au chant du monde qui donne son titre au roman, il est lui aussi extrêmement présent dans toutes les descriptions : "Les bois se décharnaient. De grands chênes vernis d'eau émergeaient de l'averse avec leurs énormes mains noires crispées dans la pluie. Le souffle feutré des forêts de mélèzes, le chant grave des sapinières dont le moindre vent émouvait les sombres corridors, le hoquet des sources nouvelles qui crevaient au milieu des pâtures, les ruisseaux qui léchaient les herbes à gros lapements de langue, le grincement des arbres malades déjà nus et qui se fendaient lentement, le sourd bourdon du fleuve qui s'engraissait en bas dans la vallée, tout parlait de désert et de solitude.".
Le style de Jean Giono est magnifique mais pas forcément saisissable d'entrée de lecture, il faut tout simplement apprendre à se détacher d'une écriture moderne pour se laisser porter par la magie de la plume de Jean Giono, dévidant les mots dans une langue ancienne qui n'existe plus mais qu'il fait renaître et qui n'apparaît à aucun moment démodée.
Quant à l'histoire, elle est très touchante sur le plan humain, il n'y a presque que Jean Giono qui sache écrire de si beaux coups de foudre, celui de Clara et d'Antonio n'étant pas sans rappeler celui de Pauline avec Angelo dans "Le hussard sur le toit", et très viscérale dans sa façon d'être.
C'est le midi, le pays où il faut laver l'honneur souillé et où la vengeance est de mise, c'est violent mais à la fois très fraternel et l'amour est au centre de l'histoire, toujours.
A la lecture de ce livre, je me suis souvent dit : "C'est beau comme du Giono.".
Normal, puisque c'est de Jean Giono.
"Le chant du monde" est une oeuvre forte qui transporte le lecteur dans une histoire qui prend au cœur et aux tripes, un récit vivant véritable hymne à la nature, à découvrir ou à re-découvrir de toute urgence.
Livre lu dans le cadre du Club des Lectrices
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Que j'aime l'écriture de Giono. Le chant du monde est un des mes livres préférés.
RépondreSupprimerUn très roman qui m'a énormément plu !
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