samedi 30 novembre 2013

L'accompagnatrice de Nina Berberova


En quelques scènes où l’économie des moyens renforce l’efficacité du trait, Nina Berberova raconte ici les relations d’une soprano issue de la haute société pétersbourgeoise, avec Sonetchka, son accompagnatrice, bâtarde et pauvre ; elle décrit leur exil dans les années qui suivent la révolution d’Octobre, et leur installation à Paris où leur liaison se termine dans le silencieux paroxysme de l’amour et de la haine. (Actes Sud)

Sonetchka est une jeune femme bâtarde et pauvre, dotée d'une mère aimante qui l'a élevée aussi bien qu'elle a pu en lui donnant accès à la musique et sans qu'elle ait trop à pâtir du fait d'être née hors mariage, d'un père, qu'elle n'a d'ailleurs jamais connu, plus jeune que sa mère et qui fut son élève.
Dans sa vie, il y a donc la musique avec le piano, instrument qu'elle maîtrise très bien et qui lui permet de vivre; et Maria Nikolaevna, la chance de sa vie en quelque sorte puisque cette femme, soprano issue de la bourgeoisie Pétersbourgeoise, lui offre d'être son accompagnatrice, dans un périple qui les mènera de Russie en France.
Car cette histoire se passe dans la Russie des années 1910, avec en toile de fond la révolution bolchevique et la fuite d'une partie de la haute société russe vers d'autres pays d'Europe.
Au cœur de ce roman, présenté comme le journal intime de Sonetchka, il y a une opposition constante entre les deux personnages féminins de Sonetchka et de Maria, antithèse l'une de l'autre car venant de deux couches sociales opposées mais rapprochée par la musique : "Mais parce qu'elle était unique, et des pareilles à moi il y en avait des milliers, parce que les robes qui l'avaient tellement embellie et qu'on retaillait pour moi ne m'allaient pas, parce qu'elle ne savait pas ce que sont la misère et la honte, parce qu'elle aime et que moi, je ne comprends même pas ce que c'est.".
Dès lors, c'est un climat malsain qui s'installe dans la narration et qui ne cesse de mettre mal à l'aise le lecteur qui assiste, impuissant, aux tourments de l'esprit de Sonetchka qui cherche à faire payer à Maria son bonheur rayonnant :  "Et malgré ces sentiments insolubles, elle continuait à rayonner d'une espèce de bonheur constant. Et c'est pour ce bonheur constant que je rêvais de la punir.".
Dans la vie de Maria, il n'y a pas que la musique et son mari, il y a aussi Ber, que Sonetchka soupçonne d'être l'amant de Maria sans en avoir aucune preuve : "La vie de Maria Nikolaevna était remplie de musique, de sorties dans le monde, de visites chez le couturier et à l'institut de beauté - il semblait qu'elle n'avait ni la possibilité, ni le temps de le rencontrer, et cependant, je ne doutais pas qu'elle le vît.".
Et pour se venger et humilier Maria, Sonetchka est prête à tout, même à tout dire au mari, quitte à perdre sa place et la gloire qu'elle retire indirectement de son rôle d'accompagnatrice.
Court roman, "L'accompagnatrice" met mal à l'aise le lecteur, basé sur la psychologie il dévoile une narratrice froide et calculatrice, mais il met surtout en lumière la plume implicite et aiguisée de Nina Berberova, une auteur russe ayant fui son pays pour la France avant de s'exiler définitivement aux Etats-Unis, dont j'ai pu admirer toute l'étendue de son talent.
Ce roman a l'âme slave, avec cette histoire bouillonnante où l'amour et la haine sont présents, et se distingue par son caractère et son ton incisif.

"L’accompagnatrice" fait partie de ces courts romans percutants qui marquent un lecteur, ce livre m'a en tout cas permis de découvrir tout le talent de Nina Berberova à travers cette histoire dérangeante de lutte des classes sociales à travers le prisme de deux femmes réunies par la musique, une très belle découverte.

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