samedi 10 mars 2012
Je rends grâce d'Agnès Cornier
« Arnaud a 20 ans, il va intégrer Polytechnique.
[…] Retour en arrière. Le voile du passé se déchire comme celui qui permet à l’eau de mon corps de couler, annonce d’un enfantement mais qui arrive trop tôt. Toute ma chair sent que c’est grave mais mon être pensant n’y croit pas. Journée angoissante où mon corps ne répond plus malgré les visages médicaux qui se penchent anxieusement sur ce ventre d’où un être veut sortir malgré tout… »
Dans un style incisif et toujours à fleur de peau, Agnès Cornier livre un texte coup-de-poing qui prend la forme d’un témoignage, d’un héritage, au fil des pages.
Son histoire est celle, poignante, d’une mère courageuse et aimante, également l’histoire d’une femme délaissée par son mari, mais à la personnalité bien trempée et dont la droiture impressionne. Un bel exemple de courage et d’indépendance. (Société des écrivains)
"Je rends grâce.", tel est le mantra de la narratrice de ce récit d'Agnès Cornier qui donne également son titre au livre.
A travers ce court récit, la narratrice revient, à l'occasion de l'entrée de son fils à l'école Polytechnique, sur les passages clés de sa vie, sur les drames qui l'ont jalonnée.
C'est dans un style incisif et percutant qu'Agnès Cornier livre le récit de cette femme, à tel point que cela en devient presque un témoignage et que je m'interroge encore une fois ma lecture achevée sur la part de réalité et la part de fiction dans ce récit.
En effet, la narratrice y est d'une incroyable lucidité sur les rapports homme/femme dans un couple en train d'exploser et a des phrases d'un réalisme impressionnant pour décrire tout d'abord le désintérêt que finit par porter cet homme à sa femme : "Un étranger, toujours en voyage; un animal à sang-froid plus préoccupé par sa réussite professionnelle; un ambitieux qui préfère une femme à haut poste qu'une petite prof de banlieue. Et qui le dit !"; mais également son égoïsme et sa tentative de justification de leur abandon : " "Ils seront heureux de me voir heureux", la phrase la plus égoïste que j'aie jamais entendue d'un homme, leur père !"
La narratrice finit par synthétiser cet homme par cette phrase éclatante : "Abîme d'égoïsme qu'est l'homme transi d'amour !"
Le style narratif d'Agnès Cornier est elliptique et construit de façon intelligente, ce qui rend la lecture très agréable et n'enlise pas l'histoire mais, bien au contraire, la sert en ne présentant au lecteur que les passages les plus importants.
Ainsi, le récit se focalise sur les mois de juillet 2008, 1988, 2001, 2010 et avril 2011.
Les sauts dans le temps ne m'ont absolument pas gênée pendant ma lecture, j'ai même trouvé agréable ce récit fragmenté qui finit par faire un tout au final et qui résume assez bien la personnalité bien trempée de la narratrice.
Je n'ai relevé qu'une répétition dans la partie consacrée à juillet 2001, la narratrice revient une nouvelle fois sur la naissance de son fils et les difficultés de ses premiers jours, c'est dommage car cela avait déjà été exposé par l'auteur plusieurs pages précédemment et cette redite n'était pas nécessaire à l'histoire.
Mais c'est la seule faute que j'ai pu relever dans ce récit travaillé finement d'un bout à l'autre.
J'ai trouvé pendant la première moitié du récit une forme de machisme de la part de l'auteur car sa narratrice ne replonge dans ses souvenirs que grâce à son fils, c'est lui l'élément central de son récit et quasiment de sa vie et il n'est jamais question de ses deux filles.
C'est une façon de concevoir la famille dépassée pour moi et je ne comprenais pas complètement pourquoi cette femme si moderne, avec une telle force de caractère tenait un raisonnement vieux de plus de soixante ans. D'un autre côté, la naissance si particulière de ce fils expliquait en partie sa façon de penser.
Finalement la deuxième moitié du récit vient rétablir l'équilibre et les filles sont également évoquées par la narratrice, cela gomme donc cette impression que j'ai pu avoir.
La tonalité de ce récit pourrait donner une première impression de tristesse et de noirceur.
En effet, il y est question d'une naissance précoce, des difficultés de survie de ce garçon, de la lutte du corps médical pour le garder en vie, de divorce, d'une famille qui explose car le père décide de les abandonner pour aller vivre avec son amour de jeunesse, d'une femme qui essaye de lutter chaque jour pour ses enfants, les biens les plus précieux de sa vie, mais qui découvre aussi le plaisir avec un autre homme : "Mon corps chante."
Au final, je trouve que ce récit est au contraire porteur d'espoir et de courage, il démontre que malgré toutes les difficultés que l'on peut rencontrer dans une vie, aucune n'est réellement insurmontable.
Ce récit est donc une belle leçon de vie, il tend en permanence vers le positif et vers l'espoir : "Ensemble, la vie est porteuse d'espoir."
Le titre est également bien choisi, il comporte une dimension religieuse qui est toujours présente de façon sous-jacente tout au long du récit.
Car c'est un amour quasi religieux qui unit cette mère à son fils, mais également à ses autres enfants.
Elle se dévoue totalement pour eux et les fait passer avant toute autre chose, tout en avouant que pour son premier enfant : "Je n'avais pas vraiment un instinct maternel et de plus, il était mis à rude épreuve.", ce que je trouve particulièrement courageux d'écrire de la part d'une femme.
Tout au long du récit, la narratrice rend grâce à la fois à Dieu mais également à la Vie et ce caractère religieux est montré ouvertement dans la dernière page de l'histoire qui se déroule lors d'une messe.
J'ai été aussi particulièrement touchée par la signature de l'auteur à la fin de son récit, uniquement avec son prénom, ce qui est venu renforcer mon trouble entre la part de réalité et la part de fiction de l'histoire.
Si l'une des dernières phrases qui clôt ce récit est d'une beauté touchante : "Les larmes lavent mon âme.", j'ai trouvé que ce livre permettait de se laver de la morosité actuelle à travers l'histoire de cette femme blessée dans sa chair par une naissance difficile et dans son âme par l'abandon de son mari mais si forte, si indépendante, et qui donne ici une formidable leçon de vie au lecteur.
Je remercie le site Les agents littéraires et la maison d'édition Société des écrivains pour l'envoi de ce livre.
Pour information, le blog des Agents littéraires a été créé fin mars 2011 pour aider les livres des éditeurs indépendants ou des auteurs auto-édités à se faire connaître grâce au web.
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