vendredi 30 mars 2012

Inconnu à cette adresse de Kathrine Kressman Taylor


En 1932, Max Eisenstein, juif américain, et Martin Schulse, sont marchands de tableaux en Californie et amis de longue date. Leur affaire marche bien et quand Martin décide de rentrer en Allemagne avec sa femme Elsa et ses trois garçons, Max ne peut que l'encourager tout en pleurant sa solitude. Leur correspondance commence alors et tandis que Martin découvre une Allemagne appauvrie et désabusée, Max, lui, s'inquiète de la montée du nazisme. Mais emporté par l'aveuglement patriotique, Martin ne fait qu'approuver la politique hitlérienne et refusera même son aide à Griselle, la soeur de Max, qui meurt sous ses yeux. Alors, utilisant la censure qui lit toutes ses lettres à Martin, Max décide de se venger, désignant Martin à la vindicte des nazis. (Hachette Jeunesse / Le livre de poche Jeunesse)

Cette relation épistolaire entre Max et Martin, marchands de tableaux mais surtout amis, se déroule de novembre 1932, date à laquelle Martin est retourné vivre en Allemagne avec sa famille, à mars 1934, avec une dernière lettre adressée à Martin de la part de Max portant la mention "Inconnu à cette adresse".
Entre temps, il se sera passé bons nombres d'évènements : la cassure nette d'une longue amitié, la montée du nazisme en Allemagne et l'avènement au pouvoir du chancelier Adolf Hitler, la mort de Griselle, la soeur de Max venue de Vienne à Munich.

Lorsque commence ces échanges épistolaires, Max et Martin sont très bons amis et partagent les mêmes points de vue, sans se douter que d'ici peu ils ne se comprendront plus et prendront deux routes diamétralement opposées.
Ainsi, en janvier 1933, c'est un Max inquiet qui demande à Martin : "Qui est cet Adolf Hitler qui semble en voie d'accéder au pouvoir en Allemagne ? Ce que je lis sur son compte m'inquiète beaucoup."
Dès lors, le fossé se creuse entre les deux hommes, Martin adhère aux idées du nazisme en train de se développer en Allemagne, son aîné rejoint les jeunesses hitlériennes et il en vient à cautionner et justifier les massacres de Juifs qui ont lieu en Europe, comme il l'écrit en juillet 1933 : "Tu ne t'attacheras, je le sais, qu'aux ennuis de ton propre peuple. Tu refuseras de concevoir que quelques uns doivent souffrir pour que des millions soient sauvés. Tu seras avant tout un Juif qui pleurniche sur son peuple. Cela, je l'admets. C'est conforme au caractère sémite. Vous vous lamentez mais vous n'êtes pas assez courageux pour vous battre en retour. C'est pourquoi il y a des pogroms."
Mais Max est juif, et il ne peut pas croire que son ami partage de telles idées, il a encore un espoir mais celui-ci sera anéanti par une réponse sans appel de Martin en août 1933 : "Tu es un sentimental. Tu ignores que les hommes ne sont pas tous faits sur le même modèle que toi. Tu leur colles une gentille petite étiquette de "libéral", et tu t'imagines qu'ils vont agir en conséquence. Tu te trompes. Moi, un libéral quasiment américain ? Jamais ! Un patriote allemand.", celui-ci mettant également un terme à leur amitié : "Nous ne sommes plus en sympathie, tu devrais t'en rendre compte."
Et l'histoire continue de s'enfoncer dans l'horreur et l'inavouable, que pourtant Martin avouera à Max sans aucune gêne : oui, il n'a pas protégé Griselle, la soeur de Martin et ancienne maîtresse, il lui a refusé sa protection et l'a laissée se faire massacrer dans sa propre rue par les SA.
A partir de cet instant, il n'y a plus de Max et Martin amis, ils sont désormais ennemis jusque dans la mort.
Et c'est d'une façon implacable que Max va se venger en envoyant des lettres à Martin dénuées de sens, laissant penser qu'il est de mèche avec un complot fomenté par des juifs.
Martin aura beau essayé d'implorer sa pitié en février 1934 : "Est-ce bien toi qui commets cette horreur ? Toi, mon bon vieux Max que j'ai aimé comme un frère ? Mon Dieu, mais tu n'as donc pas de pitié ! Assez ! Je t'en supplie. Arrête tant qu'on peut encore me sauver. C'est du fond de mon coeur rempli pour toi d'une vieille affection que je t'implore.", il n'en a eu aucune envers Griselle, Max n'en aura aucune envers lui, jusqu'à ce qu'il finisse par disparaître avec sa famille, à devenir lui aussi "Inconnu à cette adresse".

Cette nouvelle est quasiment parfaite et retrace à merveille une correspondance imaginaire entre un Américain juif, Max, et son ami Allemand, Martin, correspondance tout de même fondée sur quelques lettres réellement écrites.
Au-delà de la mécanique diabolique qui se met en place dans cette histoire, il y a également une évidence : ce récit est simple mais habilement construit, le style narratif est épuré pour ne garder que l'essentiel.
C'est une lecture à la fois facile mais extrêmement plaisante et prenante qui se lit d'une seule traite.
L'auteur en est une femme américaine, elle a aussi réussi à s'imposer avec cette nouvelle dans un pays où ce genre littéraire est populaire et traditionnel et surtout foisonnant.
Elle a surpris tout le monde en arrivant là où personne ne l'attendait, inconnue jusqu'à alors elle a su conquérir tout un pays et sa nouvelle a même été plébiscitée au-delà des frontières américaines.
Kathrine Kressmann Taylor a su donner vie à cette correspondance et retracer les évènements des années 1933 et 1934 en Allemagne : la montée du nazisme et l'arrivée d'Hitler au pouvoir, d'une manière si juste que cela laisse présager de manière explicite les évènements qui auront lieu par la suite, et cela ne rend la lecture que plus troublante, d'autant plus lorsque l'on sait que cette nouvelle a été publiée en 1938.

2 commentaires:

  1. Un livre que j'ai lu il y a déjà plusieurs années mais que j'avais beaucoup aimé. Cet article me donne envie de le relire d'ailleurs.

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  2. @AlterVorace : voilà une très sage décision que de relire ce livre ! Bonne relecture !

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