Alors vous saurez
qu'il ne faut pas parler avec la mort
c'est une connaissance inutile
Une connaissance inutile est le troisième ouvrage de Charlotte Delbo sur les camps de concentration. Après deux livres aussi différents par leur forme et leur écriture que Aucun de nous ne reviendra et Le Convoi du 24 janvier, c'est dans un autre ton qu'on lira ici Auschwitz et Ravensbrück On y lira plus encore une sensibilité qui se dévoile à travers les déchirements. Si les deux précédents pouvaient apparaître presque impersonnels par leur dépouillement, dans celui-ci elle parle d'elle. L'amour et le désespoir de l'amour – l'amour et la mort ; l'amitié et le désespoir de l'amitié – l'amitié et la mort ; les souffrances, la chaleur de la fraternité dans le froid mortel d'un univers qui se dépeuple jour à jour, les mouvements de l'espoir qui s'éteint et renaît, s'éteint encore et s'acharne... (Editions de Minuit)
Nettement plus personnel qu' "Aucun de nous ne reviendra", ce deuxième tome d' "Auschwitz et après" livre une Charlotte Delbo plus présente, plus sensible, plus ouverte à écrire son ressenti et à mettre des mots sur ce qu'elle a vécu.
Il n'y a pas le dépouillement du premier tome, Charlotte Delbo y évoque Auschwitz et Ravensbrück d'une manière très sensible et personnelle, n'hésitant pas à parler et à nommer certaines de ses compagnes d'infortune.
Elle livre également des réflexions très profondes sur sa déportation, permettant au lecteur d'entrapercevoir ce qu'a pu être Auschwitz pour des millions de personnes : "On peut faire d'un être humain un squelette où gargouille la diarrhée, lui ôter le temps de penser, la force de penser. L'imaginaire est le premier luxe du corps qui reçoit assez de nourriture, jouit d'une frange de temps libre, dispose de rudiments pour façonner ses rêves. A Auschwitz, on ne rêvait pas, on délirait.".
Il y est question d'amour, d'amitié, de désespoir, de la mort, de la souffrance, de la soif, mais aussi d'une fraternité entre déporté(e)s et subrepticement entre les lignes d'espoir.
S'affranchissant des barrières temporelles, Charlotte Delbo passe de sa déportation à son emprisonnement, à la mort de son mari, à sa vie avant guerre, et ce qui pourrait apparaître comme un puzzle sans queue ni tête revêt finalement une certaine logique narrative qui ne perd à aucun moment le lecteur.D'Auschwitz, il en est beaucoup question dans ce témoignage : "Pour ceux qui étaient à Auschwitz, l'attente était une course devant la mort.", mais si dans le premier volume Charlotte Delbo insistait sur le caractère de déshumanisation de l'endroit, ici il est aussi question d'entraide, même si la mort est omniprésente, tout comme la soif sur laquelle l'auteur revient longuement dans un chapitre particulièrement poignant.
L'utilisation du "je" est omniprésente et permet à l'auteur de se livrer comme elle n'avait pas pu le faire précédemment, d'exprimer son ressenti avec un certain recul, rendant encore plus vivant son récit : "Aucune larme ne m'est venue. Il y a longtemps, longtemps, que je n'ai plus de larmes.".
Et puis, Charlotte Delbo évoque aussi Ravensbrück après un transfert en train quasi surréaliste et un passage dans une ville de Berlin en partie en ruine.
Là aussi, les conditions d'internement sont très dures, mais Charlotte Delbo y parle aussi d'une forme d'entraide et de fraternité, avec une obsession : celle qu'au moins l'une d'elles revienne pour pouvoir témoigner.C'est bouleversant mais aussi poétique car Charlotte Delbo n'hésite pas, lorsque le récit n'est plus possible, à utiliser la poésie.
Ainsi, il y a notamment un magnifique poème en hommage à son mari, résistant, fusillé au fort du Mont-Valérien en mai 1942.
Une formidable leçon de vie et d'humilité.
Livre lu dans le cadre du Challenge Destination PAL
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