dimanche 3 novembre 2013

La pluie, avant qu'elle tombe de Jonathan Coe


Rosamond vient de mourir, mais sa voix résonne encore, dans une confession enregistrée, adressée à la mystérieuse Imogen. S'appuyant sur vingt photos soigneusement choisies, elle laisse libre cours à ses souvenirs et raconte, des années quarante à aujourd'hui, l'histoire de trois générations de femmes, liées par le désir, l'enfance perdue et quelques lieux magiques. Et de son récit douloureux et intense naît une question, lancinante : y a-t-il une logique qui préside à ces existences ? (Folio)

Une voix enregistrée sur cassettes décrivant vingt photos, voilà l'héritage de Rosamond pour une mystérieuse Imogen, pour que cette inconnue découvre son histoire, sache et comprenne d'où elle vient et quel est son passé.
Mais pour l'instant Imogen n'est pas là, c'est Gill, exécutrice testamentaire de sa tante, accompagnée de ses deux filles qui écoutent cet enregistrement, perçoivent avec émotion la voix de Rosamond et découvrent les secrets les plus enfouis autour de cette Imogen qu'elles doivent retrouver.

Le procédé narratif employé par Jonathan Coe est original et extrêmement bien construit.
En travaillant par ellipses, il réussit à donner au lecteur une vision complète de l'histoire de trois générations de femmes des années 40 à aujourd'hui via le travail effectué par Rosamond à partir de photographies : "Elles sont la preuve que les choses que je me rappelle - certaines des choses que je me rappelle - ce sont vraiment produites, qu'elles ne sont pas des souvenirs fantômes ou des chimères, des fantasmes. Mais qu'en est-il des souvenirs pour lesquels il n'y a pas de photos, pas de corroboration, pas de preuve ?".
Rosamond ne cherche pas à tout raconter, elle a sélectionné les photographies lui apparaissant comme importantes et a dû faire appel à sa mémoire pour les faire revivre, opposant ainsi le papier aux souvenirs : "Pourquoi les photos - les photos de famille - donnaient-elles toujours aux gens un air si insondable ?".
Mais elle se raconte aussi, beaucoup, laissant ainsi découvrir une femme sensible qui a beaucoup aimé dans sa vie et qui a aussi beaucoup souffert, qui aujourd'hui au seuil de la mort a suffisamment de recul pour comprendre que toute sa vie ne tient qu'à un moment ayant conduit au paroxysme du bonheur et qu'ensuite rien ne fut plus jamais pareil : "Tout a découlé de cette nuit-là, mais le chemin qu'elle a ouvert ... Il menait, je m'en rends compte à présent, à cette journée au bord du lac : c'était ça, le point culminant ... Tout ce qui a suivi était une aberration.", et qu'il n'est pas possible qu'une chose annule toutes les erreurs du passé et les répare, ce qu'elle a longtemps pensé concernant la naissance d'Imogen : "L'idée que tu aurais pu ne pas exister, que tu aurais pu ne jamais naître, me paraît si injuste, si monstrueuse et contre nature ... Ça ne veut pas dire que ton existence corrige ou annule toutes ces erreurs. Elle ne justifie rien. Ce que ça signifie - je l'ai peut-être déjà dit ? Je crois que oui, même si c'est en d'autres termes - ou plutôt ce que ça me fait comprendre, c'est ceci : la vie ne commence à avoir un sens qu'en admettant que parfois, souvent, toujours, deux idées absolument contradictoires peuvent être vraies en même temps.".
A travers la voix de Rosamond, l'auteur soulève des questions liées au hasard, aux coïncidences, au destin qui frapperait une famille et à une forme de fatalité qui ne pourrait finalement jamais être rompue; pour conclure avec celle de Gill qui réalise brusquement que ce chacun cherche dans la vie n'est finalement qu'une chimère à jamais inaccessible :  "Le sens qu'elle cherchait était perdu. Pire encore : il n'avait jamais existé. C'était impossible. Ce qu'elle espérait trouver n'était qu'une chimère, un rêve, une chose irréelle : comme la pluie avant qu'elle tombe.".
Ce roman est sombre, poignant, extrêmement bien écrit.
Il aborde l'intime sans tomber dans le pathos ou l'impudeur ou encore même le voyeurisme.
J'ai vécu la narration de Rosamond comme une forme d'accouchement qui aboutit à la transmission d'une forme de philosophie familiale : "Une chose n'a pas besoin d'exister pour rendre les gens heureux.".
Je n'ai qu'un seul bémol à mettre à ce magnifique récit, la fin trop abrupte qui tranche de façon trop nette et trop précise le fil narratif déployé jusque là.

"La pluie, avant qu'elle tombe" est un roman puissant en émotion, qui décrit une touchante histoire familiale de trois femmes sur plusieurs décennies, avec lequel je découvrais Jonathan Coe dont je vais continuer à explorer l'oeuvre tant ce roman m'a plu et ému.

4 commentaires:

  1. Suite du commentaire sur twitter, parce que quand il s'agit de Coe, j'ai du mal à m'arrêter. Donc oui il faut lire Coe qui est le grand auteur anglais actuel. Mais ses autres romans sont très différents de celui-ci, plus politiques, peut-être plus froids aussi. Coe dépeint formidablement la société actuelle et ses semblables. Ici, ce sont les femmes qui sont au centre mais généralement ce sont plutôt les hommes qu'il dépeint. Bref je t'encourage à lire Testament à l'anglaise qui est à mon avis son chef d'oeuvre. Moi je vais tenter de m'attaquer à son dernier roman, pas sorti en français encore.

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    1. Tu me donnes encore plus envie de lire d'autres de ses livres, d'autant plus que tu n'es pas la seule personne à m'en avoir parlé en bien ! Je note "Testament à l'anglaise", mais pas pour tout de suite, j'ai un léger embouteillage dans mes prochaines lectures.

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  2. J'avais adoré ce roman, il m'avait beaucoup touchée !! Testament à l'anglaise et Bienvenue au club sont formidables aussi !!

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    1. Tu me parles aussi de "Testament à l'anglaise", je mets décidément ce livre en tête de ceux à lire (dans un futur proche, j'ai un petit embouteillage temporaire dans mes lectures).

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