lundi 29 janvier 2018

La douleur d'Emmanuel Finkiel

       
     

Juin 1944, la France est toujours sous l’Occupation allemande. L’écrivain Robert Antelme, figure majeure de la Résistance, est arrêté et déporté. Sa jeune épouse Marguerite, écrivain et résistante, est tiraillée par l'angoisse de ne pas avoir de ses nouvelles et sa liaison secrète avec son camarade Dyonis. Elle rencontre un agent français de la Gestapo, Rabier, et, prête à tout pour retrouver son mari, se met à l’épreuve d’une relation ambiguë avec cet homme trouble, seul à pouvoir l’aider. La fin de la guerre et le retour des camps annoncent à Marguerite le début d’une insoutenable attente, une agonie lente et silencieuse au milieu du chaos de la Libération de Paris. (AlloCiné)


"A quoi êtes-vous le plus attachée, à Robert Antelme ou à votre douleur ?", cruelle question posée par Dionys, le meilleur ami de Robert Antelme et amant de sa femme, à Marguerite Duras, ladite femme de Robert Antelme arrêté et déporté, et point central de ce film.
S'il est bien un des romans de Marguerite Duras que je cherche à lire depuis quelques années, c'est "La douleur", ce livre publié des années après son écriture et revenant sur l'époque où son mari, membre du même réseau de résistance que Marguerite Duras, Dionys ou encore François Mitterand, a été arrêté et déporté.
Dedans elle y narre l'inquiétude, l'attente des nouvelles, le jeu dangereux qu'elle mène avec un agent de la Gestapo pour essayer d'en savoir plus, puis l'attente à la fin de la guerre du retour de Robert Antelme, la découverte des camps, les premiers retours, ces hommes et ces femmes qui errent entre ici et là-bas, pas tout à fait mort mais plus tout à fait vivant, Robert est-il déjà mort ou va-t-il lui aussi revenir, et dans quel état ?
Que restera-t-il du Robert que Marguerite aimait ? L'aime-t-elle toujours ?
Inutile de laisser durer le suspens plus longtemps, deux ans après le retour de Robert ils divorceront, Marguerite épousera Dionys et aura un enfant avec lui, mais restera toutefois plutôt en bon terme avec Robert.


Il y a trois choses dans ce film, une première partie consacrée à Marguerite et Pierre Rabier, cet agent Français de la Gestapo séduit par la femme écrivain (enfin, à cette époque elle n'est pas encore Marguerite Duras l'écrivain) qui l'utilise autant qu'elle l'utilise et qui ne lui donnera que quelques nouvelles peu encourageantes de son mari; une deuxième partie consacrée à Marguerite et à l'attente du probable retour de Robert, une Marguerite qui s'interroge beaucoup, finit par se résigner à la mort de son mari et ne veut plus le voir lorsqu'on le lui ramène quasi agonisant; et par-dessus, souvent, les mots de Marguerite Duras, ces mots si beaux, ces phrases si sublimes.
Si je devais classer ces trois éléments je dirai que ce sont les mots et les réflexions de Marguerite Duras qui m'ont le plus touchée et transportée, puis cette attente, et enfin le jeu dangereux qu'elle a mené pour quelques informations.
Étrangement, il semblerait qu'une bonne partie des spectateurs préfère la première partie et trouve la deuxième un peu trop longue, c'est justement cette longueur, cette contemplation, et les mots qui sont posés sur cette attente que j'ai tant aimé.
Ce que j'ai aussi particulièrement aimé dans ce film, c'est que cette femme se trouve confrontée à une terrible réalité, elle découvre, comme tout le monde à l'époque, l'existence des camps, les montagnes de cadavres, les chambres à gaz, les charniers, sauf que peu de monde a envie de voir et de connaître cette réalité.
Cette femme se trouve donc confrontée à l'attente, à la douleur qui en résulte, mais aussi à celle de la découverte de l'horreur que personne ou presque ne veut reconnaître.
Par la même occasion le sort des Juifs est ainsi traité, notamment à travers le prisme de cette si touchante Madame Katz qui attend le retour de sa fille Juive, déportée, sauf qu'elle était légèrement boiteuse suite à une maladie, elle va ainsi apprendre qu'elle a été gazée dès son arrivée, tel était le sort réservé à bon nombre de Juifs, et en priorité à ceux handicapés.
Ce film n'est pas un biopic et c'est sans doute ce qui en fait sa force.
Le réalisateur a aussi eu une belle façon de filmer Paris, de faire revivre cette ville à cette époque, et d'offrir quelques plans somptueux dont un particulièrement osé (pour ne pas dire hallucinant) d'une Marguerite à vélo, seule, sans voiture, traversant la place de la Concorde.


Avec ce rôle de Marguerite Duras, Mélanie Thierry pénètre une bonne fois pour toute dans la cour des grands.
Elle y campe une Marguerite Duras intéressante, sans chercher à faire de la copie et à transformer le film en biopic.
C'est à la fois elle et pas elle.
Elle a adopté une gestuelle, ses cigarettes si maintes fois allumées et tenues entre ses doigts, des expressions, elle donne vie au personnage et à la douleur qui l'habite.
Une Mélanie Thierry qui s'expose sans fard, résultat le personnage qu'elle incarne n'en est que plus vivant, plus aisé à comprendre pour le spectateur, et sa douleur ne s'en ressent que plus.
Formidable choix que cette actrice, elle incarne une Marguerite Duras entre deux âges, entre deux périodes de sa vie, encore un peu jeune mais déjà plus mûre.
L'autre belle surprise du film, c'est Benjamin Biolay que j'ai déjà pu voir dans d'autres rôles mais sans doute jamais aussi intense et retenu dans son jeu.
Disons qu'il incarne Dionys, il met de la passion dans ce personnage mais sans surjouer, sans trop en faire, sans en rajouter ou jouer de son charme ou bagout naturel.
Où j'avais pu par le passé émettre quelques doutes ici ils sont balayés et je le trouve juste dans son jeu d'acteur.
Quant à Benoît Magimel c'est une valeur sûre, il ne déçoit pas et tient bien ce rôle pas si évident à interpréter.
Il y a aussi un très bon casting pour les personnages secondaires ou que le spectateur ne fait que croiser quelques instants.
Je ne trouve vraiment rien à redire à ce film qui est une adaptation intéressante d'un roman de cette si grande auteur et qui saura trouver, je l'espère, son public.


"La douleur" est une superbe film d'Emmanuel Finkiel porté par une Mélanie Thierry au sommet de son art et les mots de Marguerite Duras, mots qui me hantent encore et sans doute pour longtemps.


       
     

       
     

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire