dimanche 12 octobre 2014

Mort et vie de Lili Riviera de Carole Zalberg


Lili Riviera, ex-star du porno aux excessives courbes sculptées par la chirurgie, vient de mourir. Que fut sa vie ? Que fut son enfance ? Que fut ce corps, désormais déformé et avachi, au temps de sa sensualité agressive ? Portrait d'une petite fille cachée derrière les attributs monstrueux d'une créature à fantasmes, ce récit déchirant parle avant tout d'un éperdu besoin d'amour jamais comblé. (Actes Sud)

Lili Riviera, ex-star du porno sculptée au scalpel chirurgical pour offrir rêves, désirs et fantasmes à tous les mâles vient d'être retrouvée morte chez elle.
Même les pompiers qui accourent à son domicile rêvent de la sauver, ce nom synonyme pour eux d'images devant lesquelles ils assouvissent leurs fantasmes : "Lorsque l'appel était parvenu aux pompiers, ils s'étaient même battus pour se rendre sur place et peut-être la sauver, cette bombe que certains avaient placardée dans leur casier, sa poitrine de foire au niveau du regard ou sa bouche-ventouse à hauteur de queue, au choix. Souvent les deux, en fait. Les clichés d'elle, très clairement conçus pour faire bander et non rêver - tout comme son corps réinventé d'ailleurs-, ne manquaient pas.".
Mais à l'arrivée la déception est grande, car de la Lili Riviera provocante et objets de tous les fantasmes plus ou moins avouables il ne reste qu'un pantin disloqué n'attirant que la pitié et le dégoût : "C'est une pauvre fille qui est là, dans un fouillis de draps et de peluches ridicules. Une créature dont la solitude effroyable saute au visage et force à détourner les yeux.".
Poussière tu fus et poussière tu es redevenue, mais qui étais-tu Lili Riviera ?

C'est à cette question que Carole Zalberg répond dans ce roman, en s'intéressant à Lili petite fille, son enfance entre une mère la brimant systématiquement et un père s'écrasant en carpette devant sa femme; à Lili adolescente trop tôt tombée dans les griffes d'un vilain garçon qui la transforme en carpette à hommes, il offre son corps à tous les hommes qui veulent et de cela Lili en gardera toute sa courte vie le besoin viscéral d'être serrée dans des bras masculins pour faire taire ses angoisses : "La nuit, rien d'autre ne chasse ses terreurs que des bras d'hommes. Pas leur sexe ni leurs prouesses, contrairement à ce qu'ils croient tous. Elle veut seulement des bras forts entre elle et le froid de la mort. Car Lili, qui ne croit pas et se sait nécessairement guettée par la défaillance à force de se malmener, est terrifiée à l'idée de sa propre fin."; et enfin à Lili adulte dont il ne reste plus grand chose d'origine puisque patiemment et méthodiquement elle a tout effacé d'elle pour se faire construire par la chirurgie un sarcophage protecteur : "Plus elle s'éloignait de son vrai visage et plus elle se libérait de toute pudeur, de toute idée de faute; moins elle savait qui elle était et plus elle se sentait à l'abri.".
Lili a cru que le bistouri ferait son bonheur, il a au contraire continué à l'enfoncer un peu plus dans le malheur et dans une spirale dont elle n'a jamais eu la moindre chance d'en sortir : "Elle a rêvé autrefois qu'au fond de ce corps elle serait tranquille et bien cachée, mais les yeux, quand ils sont sans désir, percent la chair et ses déguisements.".
Alors oui, Lili a attiré sur elle le regard des hommes, à suscité chez eux l'envie et elle n'a jamais su leur dire non, elle s'est étourdie dans les nuits de musique, d'alcool, de paillettes et d'exhibitions pour s'oublier, enfouir son moi le plus profond et n'être qu'une apparence aux yeux des autres.
Dans le fond, Lili n'a pas grandi dans son esprit, elle a remplacé le nounours de son enfance par un homme différent chaque nuit et elle a passé sa vie à quémander l'amour des hommes pour remplacer celui que ses parents n'ont jamais su lui donner, par méchanceté pour sa mère et par lâcheté pour son père.
La véritable Lili Riviera, c'est une petite fille qui hurle et pleure d'angoisse dans le corps d'une femme devenue poupée qui dit oui à tout et à tous.
C'est une histoire dure qui est ici racontée, j'ai été beaucoup touchée par le destin de Lili Riviera et plus d'une fois j'ai eu envie de la prendre dans mes bras et de prendre le temps de parler avec elle pour essayer de l'aider.
Dans le fond, le personnage de Lili Riviera canalise certaines de nos envies, celles de se dire que si on était comme-ci on aurait plus de succès et que c'est parce que l'on est comme-ça que l'on en a moins voire pas, on est attiré par tout ce qui brille mais on ne réalise pas toujours à quel point on pourrait s'y brûler les ailes; Lili Riviera est là pour nous aider à y voir plus clair et à arrêter d'espérer qu'être une autre pourrait radicalement améliorer notre vie et nous amener le bonheur.
De toute façon, il n'y a pas de recette miracle pour le bonheur.
A travers cette histoire, on y voit aussi un peu plus clair concernant les personnes toxiques que l'on peut un jour croiser, pouvoir les reconnaître afin de les éviter.
La structure du titre du roman est bâtie à l'image de la structure narrative : le roman s'ouvre par la mort de Lili Riviera, ensuite vient sa naissance et son enfance, puis les derniers mois de sa vie, son enfance à l'école et ainsi de suite.
Le récit est un dialogue permanent entre le présent et le passé, la mort et la vie de Lili Riviera.
J'ai beaucoup apprécié la structure de ce roman qui permet de bien saisir toutes les nuances du personnage et d'en comprendre le fonctionnement intérieur, et surtout, de ne pas le juger mais de ressentir pour lui une empathie profonde et sincère.
J'aime énormément le style de Carole Zalberg découverte avec "A défaut d'Amérique", ici encore j'ai retrouvé toute la beauté, la richesse et la justesse de sa plume, un pur moment de bonheur littéraire.

A toi qui rêves de strass, de paillettes, de projecteurs et de coups de bistouris pour te donner un physique de rêve, prends donc le temps de lire "Mort et vie de Lili Riviera", l'histoire déchirante d'une femme qui n'a cessé de quémander un peu de tendresse et qui pour cela n'a pas hésité à se dé-construire et à se dé-former, pour finir dans le dénuement affectif le plus complet.
Un très beau livre, un véritable style.

Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2014 pour PAL en danger / Chute de PAL


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