mercredi 8 octobre 2014
Mudwoman de Joyce Carol Oates
Abandonnée par sa mère à demi-folle au milieu des marais de l’Adirondacks, Mudgirl, l’enfant de la boue, est sauvée on ne sait trop comment, puis adoptée par un brave couple de Quakers qui l’élèvera avec tendresse en s’efforçant toujours de la protéger des conséquences de son horrible histoire. Devenue Meredith « M.R. » Neukirchen, première femme présidente d’une université de grand renom, Mudgirl, brillante et irréprochable, fait preuve d’un dévouement total à l’égard de sa carrière et d’une ferveur morale intense quant à son rôle. Mais précisément épuisée par la conception d’une rigidité excessive qu’elle a des devoirs de sa charge, tourmentée par ses relations mal définies avec un amant secret et fuyant, inquiète de la crise grandissante que traverse les États-Unis à la veille d’une guerre avec l’Iraq (crise qui la contraint à s’engager sur un terrain politique dangereux) et confrontée à la classique malveillance sournoise des milieux académiques, M.R. se retrouve face à des défis qui la rongent de manière imprévisible.
Un voyage sur les lieux qui l’ont vue naître, censé lui rendre un peu de l’équilibre qui lui échappe, va au contraire la jeter dans une terrifiante collision psychique avec son enfance et menacer de l’engloutir une fois encore, mais dans la folie. (Philippe Rey)
Mudgirl, c'est l'enfant de la boue, celle que sa mère a abandonné dans les marais de l'Adirondacks comme d'autres se débarrassent de leur électroménager ou de leur vieille voiture : "On jetait tant de choses dans les marais de la Black Snake qui était une mer intérieure de rebuts en tout genre."; Mudwoman, c'est Meridith dite M.R Neukirchen, la femme qui a réussi, la première présidente d'une université de renom, celle qui transforme en or tout ce qu'elle touche : "Car c'était le point central de la vie de Mudwoman : être admirée, aimée.".
Mudgirl est celle qui a souffert, qui a lutté pour survivre et qui a appris très tôt quelques bases de la vie : "L'enfant avait appris qu'un jeu prenait fin à la différence d'autres actes qui n'étaient pas des jeux et ne se terminaient pas mais s'étiraient à l'infini comme une route ou une voie ferrée ou la rivière qui coulait sous les planches mal jointes du pont à côté de la maison où la femme et elle avaient habité avec l'homme aux cheveux hérissés avant les ennuis."; Mudwoman c'est celle qui a travaillé pour en arriver là où elle est mais qui aime sans vraiment aimer et qui ne s'attache à personne à part à elle-même : "Il est très difficile de triompher quand on n'est pas aimé, au sens le plus profond, le plus intime et le plus indulgent du mot. Il est très difficile de triompher de toute manière, mais, sans amour, c'est à peu près impossible.".
Mais que l'on se s'y trompe pas, Mudgirl et Mudwoman ne forment qu'une seule et même personne.
C'est en alternant les chapitres sur ces deux entités féminines que Joyce Carol Oates dresse l'histoire de cette personne, de cette enfant devenue femme mais qui, par le hasard d'un déplacement professionnel, va être de nouveau hantée par ses cauchemars d'enfance, à commencer par celui où sa mère la noie dans la boue et la laisse pour morte.
C'est d'ailleurs ainsi que s'ouvre le roman et je dois dire que ce premier chapitre m'a mise extrêmement mal à l'aise, j'avais la sensation en lisant les mots de Joyce Carol Oates d'être dans la boue avec Mudgirl, qu'elle m'entrait par la bouche et finissait par m'étouffer.
Autant dire que je craignais la suite du livre, car si tous les chapitres se ressemblaient ce n'était pas une lecture sereine que j'allais faire, voire même elle reviendrait me hanter la nuit par des cauchemars.
Cette entrée en matière est on ne peut plus réaliste et je reconnais que c'est un coup de maître pour avoir réussi à l'écrire ainsi, à mettre le lecteur à la fois mal à l'aise mais aussi complètement dans l'histoire.
Par la suite, si j'attendais avec impatience les chapitres traitant de Mudgirl, ceux concernant Mudwoman m'attiraient moins.
Il faut dire que cette femme trop parfaite ne trouvait pas vraiment grâce à mes yeux, elle m'agaçait avec son côté femme amoureuse aveuglément d'un homme marié qui l'ignore la plupart du temps et de toute façon ne quittera jamais sa femme ainsi que sa quasi perfection dans tout ce qu'elle entreprend.
Je me demandais où l'auteur voulait en venir, j'ai vite fini par comprendre lorsque j'ai réalisé que Mudwoman déraillait dans sa tête, et pas qu'un peu.
A ce niveau-là, j'ai envie de dire que des années de psychanalyse ne pourront rien y changer, M.R Neukirchen a un grave trouble mental qui se développe au cours du récit jusqu'à atteindre son paroxysme, à savoir un délire paranoïaque et une confusion avec une Mudgirl et une Mudwoman cohabitant au sein d'un même esprit : "Et s'être si bien acquittée de l'épreuve de cette soirée l'emplissait d'une euphorie malicieuse; elle s'était livrée à cette imposture habile avec son aisance habituelle; Mudgirl à l'étage sur l'horrible siège des toilettes, le visage défait et maculé de larmes, et M.R. Neukirchen au rez-de-chaussée, à la place qui état la sienne.".
Ça va chercher très loin dans la folie, pour tout dire j'ai même trouvé que ça partait complètement en sucette et si pendant longtemps j'ai apprécié la façon dont l'auteur traitait de la folie de son personnage, amenant même le lecteur à douter de ce qu'il lisait, j'ai fini par trouver que ça devenait incontrôlable, à l'image de M.R Neukirchen.
Pourtant j'ai trouvé qu'il y avait une scène admirable où M.R Neukirchen, parfaite fusion à ce moment-là de Mudgirl et Mudwoman, se voit tuer un collègue, le dépecer et trimbaler ses restes dans diverses poubelles du secteur, j'y ai cru et je me suis fait avoir, mais quel tour de maître de réussir à faire passer la folie de son personnage pour réelle !
Quant à la fin, j'ai été déçue par le traitement qu'en fait l'auteur, à croire qu'elle a cherché à l'expédier et à conclure vite fait bien fait.
On ne peut pas aller aussi loin et conclure en jus de boudin, la conclusion de ce roman est à mon avis son plus gros défaut.
D'autant que l'auteur a fait de jolis parallèles entre Mudgirl et Mudwoman, ces deux entités qui s'affrontent dans une même âme, ainsi qu'avec M.R Neukirchen et ses positions sur la guerre en Iraq.
M.R Neukirchen se trouve confrontée à elle-même, à la fois à son passé mais également face aux classicismes de ses confrères qui ne comprennent pas toujours ses positions, et qui sont surtout très loin d'imaginer le passé de cette femme si talentueuse.
Pour le reste, je n'avais jamais lu de Joyce Carol Oates.
J'ai envie de dire que j'ai été servie avec ce récit qui dépasse les frontières de la folie, je me demande où l'auteur va chercher toutes ces idées voire même si elle est tout à fait saine d'esprit, il y a des scènes qui sont d'un réalisme à faire peur, limite ce livre est un cauchemar mis en mots.
Mais alors quel style !
La plume de Joyce Carol Oates est magnifique, compliquée au premier abord mais d'une beauté à couper le souffle, dense et captivante.
En somme, c'est une belle découverte et comme je suis maso, je vais bien entendu continuer à lire de cette auteur, en espérant toutefois que tous ses livres ne sont pas aussi torturés que celui-ci par crainte de finir par perdre la raison en la lisant.
"Mudwoman" de la talentueuse Joyce Carol Oates est un roman maîtrisé traitant du destin de M.R Neukirchen (alias Mudgirl et Mudwoman en fonction de la période de sa vie) qui bascule dans une folie glaçante qui saisit le lecteur et l'entraîne impitoyablement dans toute la noirceur et la boue des marécages de l'Adirondacks.
Un roman qui n'épargne pas le lecteur qui n'en ressort pas indemne mais contenant une forme d'éclat de par la très belle plume de Joyce Carol Oates.
Une belle découverte !
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AH je suis contente que tu aies aimé ! C'est vrai que la fin est un peu décevante, trop ouverte et on attend presque une suite, mais quelle maîtrise dans l'écriture ! c'est ce qui me fascine toujours chez Oates !
RépondreSupprimerPour ce qui est des autres romans de Oates, ils sont tous très torturés ;)
Bon, je les lirai à des moments joyeux de ma vie alors !
SupprimerJe reconnais que Joyce Carol Oates a un vrai style, une vraie plume, je comprends pourquoi elle fait partie du paysage des auteurs incontournables.