jeudi 20 novembre 2014

Mots rumeurs, mots cutter de Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini


Je me suis levée, les mains tremblantes. J’entendais des chuchotements, des rires dans mon dos. J’ai pris le morceau de craie, regardé les chiffres inscrits sur le tableau. Des fractions qui auraient dû être faciles, des fractions qui se délitaient devant moi, des chiffres bizarres, monstrueux, qui me frappaient comme les insultes et les ricanements, comme la vérité qui me sautait au visage... (Gulf Stream)

En ce début d'année, Léa traîne avec ses amies, elle se moque de ceux qui sont différents et elle tombe amoureuse et finit par sortir avec Mattéo, un redoublant de sa classe que toutes ses amies lui envient.
En somme c'est une jeune fille tout ce qu'il y a de plus ordinaire : "J'étais heureuse, j'avais l'impression de flotter.".
Mais Léa ne voit pas la jalousie de certaines filles qui se disent son amie, et c'est en toute innocence qu'elle accepte l'invitation d'une amie pour passer la nuit chez elle un samedi, en compagnie d'autres filles de leur groupe : "Six filles dans cet appartement trop grand, trop vide, avec des jeux stupides et la tête sens dessus dessous.".
En l’occurrence, le jeu stupide c'est "action ou vérité", et lorsque Léa choisit "action" et qu'on lui demande de faire un striptease elle s'exécute : "Au milieu d'elles, je me sentais euphorique, libérée. [..] J'étais trop partie pour m'apercevoir qu'on me photographiait.".
A partir de cette photographie, sa vie va devenir un enfer : tout le collège la verra les seins nus, elle deviendra la risée de tous, pire que ça : leur souffre-douleur, celle à qui on fait du mal verbalement et physiquement en toute impunité.
Et Léa s'enferme dans son silence : "Les mots restaient coincés dans ma gorge. Une grosse boule de honte et de douleur qui me coupait le souffle, m'empêchait de parler.", devenant l'ombre d'elle-même et la carpette sur laquelle tous ses petits camarades se défoulent,

Le sujet de ce roman graphique porte aujourd'hui un nom : harcèlement en milieu scolaire.
Je dis bien aujourd'hui car pendant très longtemps ce phénomène a été occulté et passé sous silence, laissant les personnes qui en étaient victimes dans le plus grand désarroi, en doute avec elles-mêmes et finissant par assimiler pour elles toutes les horreurs qu'on leur balançait à la figure, un harcèlement que bien souvent les professeurs alimentent ou refusent de voir.
Je parle en connaissance de cause, j'en ai été victime pendant deux ans au lycée, et à cette époque qui n'est pas si lointaine que cela on n'en parlait pas et si on le faisait on se heurtait à des murs sourds et aveugles.
Le "cyberharcèlement", dont il est aussi question dans ce livre, a sans doute contribué à libérer la parole des victimes : cela va plus loin que les agressions physiques ou les moqueries verbales puisque la personne se retrouve, à son insu, affichée sur internet, c'est-à-dire visible par tous de façon permanente (ou quasi-permanente).
Ce roman graphique a le mérite de poser toutes les bases du problème et de sensibiliser un jeune public aux dangers de ce harcèlement.
Car si le stress est considéré comme le mal du siècle dans le monde du travail, celui du harcèlement physique et/ou verbal doit sans doute l'être dans le milieu scolaire.
L'histoire est simple, le style fait très jeune et ressemble à celui d'un journal intime, la police est d'ailleurs bien choisie et très agréable à lire.
La descente aux enfers et le mal-être de Léa se ressent bien au fil de la lecture, le titre n'est d'ailleurs pas choisi innocemment car ce type de rumeur peut déboucher sur le suicide des jeunes qui en sont victimes ou les blesser profondément dans leur chair, tel un cutter.
Le seul petit reproche que je pourrai faire à ce livre c'est de ne pas aborder l'importance d'en parler, notamment à des adultes.
Léa se retrouve incapable d'en parler à ses parents et le roman se termine de telle façon que le lecteur est dans l'expectative de ce qui va se passer par la suite.
C'est un peu dommage car cela aurait permis de traiter ce problème dans sa globalité et non pas de s'arrêter avant la fin.
Certes, il n'y a pas une recette miracle universelle mais j'ai trouvé que de ce point de vue, le propos du livre était un peu léger, si Léa reste seule avec son mal-être comme cela est bien souvent le cas il me semble que la dimension pédagogique du sujet traité nécessitait d'aller plus loin.
Au-delà de cet aspect, les graphismes sont beaux et, à l'image du texte, jeunes, j'ai pris du plaisir à découvrir cette histoire que j'ai lu d'une seule traite.
Gulf Stream demeure décidément une maison d'éditions particulièrement intéressante dans la publication de livres à destination d'un public jeune et/ou adolescent, je prends toujours autant de plaisir à lire des livres issus de leur catalogue riche et varié.

"Mots rumeurs, mots cutter" de Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini a l'énorme mérite de parler de façon claire et intelligente d'un problème de société de plus en plus courant : le harcèlement en milieu scolaire.
Outre la qualité des dessins et du texte, ce roman pédagogique mérite, à ce titre, d'être découvert par les plus jeunes, pour les sensibiliser, mais également par les moins jeunes, pour leur faire ouvrir les yeux et reconnaître les premiers signes de mal-être chez un adolescent victime de harcèlement à l'école.

Je remercie Babelio et les Editions Gulf Stream pour l'envoi de ce livre dans le cadre d'une opération Masse Critique

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