mercredi 26 novembre 2014

Homesman de Glendon Swarthout


Au cœur des grandes plaines de l'Ouest, au milieu du XIXè siècle, Mary Bee Cuddy est une ancienne institutrice solitaire qui a appris à cultiver sa terre et à toujours laisser sa porte ouverte. Cette année-là, quatre femmes, brisées par l'hiver impitoyable et les conditions de vie extrêmes sur la Frontière, ont perdu la raison. Aux yeux de la communauté des colons, il n'y a qu'une seule solution : il faut rapatrier les démentes vers l'Est, vers leurs familles et leurs terres d'origine. Mary Bee accepte d'effectuer ce voyage de plusieurs semaines à travers le continent américain. Pour la seconder, Briggs, un bon à rien, voleur de concession voué à la pendaison, devra endosser le rôle de "homesman" et l'accompagner dans son périple. (Gallmeister)

En ce milieu du 19ème siècle, quelques pionniers sont partis s'installer au cœur des grandes plaines de l'Ouest, pour y cultiver la terre et y faire fortune.
Mais à la place de la richesse escomptée, c'est une vie rude qu'ils y ont découvert dans des conditions extrêmes : des hivers glacials, des loups hurlant à la porte des maisons, des maladies galopantes, à tel point que cet hiver-là, quatre femmes ont perdu la raison : "C'était une lamentation telle que ces terres silencieuses n'en avaient encore jamais entendu. C'était une complainte d'un tel désespoir qu'elle déchirait le cœur et enfonçait ses crocs au plus profond de l'âme.".
Pour les colons il n'y a qu'une seule solution, renvoyer ces femmes vers l'Est, dans leur famille ou à l'asile qu'importe, du moment que ces démentes soient éloignées de la communauté.
A cause du sort et de la lâcheté du mari d'une de ces femmes, Mary Bee Cuddy, une ancienne institutrice solitaire et vieille fille, se retrouve à devoir les escorter dans l'Est, et pour cela elle s'est attachée les services de George Briggs, un voleur de concession et bon à rien venant d'échapper de peu à la pendaison.

Ce roman s'attache à écrire à rebrousse-poil la légende de l'Ouest américain en y racontant le périple d'une femme courageuse accompagnée d'un mauvais bougre qui rapatrie dans des endroits plus civilisés quatre femmes que quelques années de vie dans le Territoire ont fait basculer dans la folie.
Il est donc bien loin le temps des promesses de richesse, de vie d'aventure dans un territoire presque vierge de présence humaine, un jardin d'Eden en quelque sorte.
La réalité est toute autre : les conditions de vie y sont extrêmes, même l'âme la mieux accrochée finit par y perdre la raison et les événements qui ont conduit ces femmes à devenir folles sont d'une violence rare.
Toutefois, ces scènes m'ont paru moins choquantes à lire que lorsque je les ai vues, mais peut-être est-ce lié au fait que je connaissais déjà l'histoire de ces femmes.
Dans le roman, comme dans le film qui se révèle très fidèle à celui-ci, le rôle des femmes y est magnifié, à commencer par celui de Mary Bee Cuddy,et les hommes y apparaissent comme des êtres vils obéissant à leurs instincts primaires, notamment celui d'avoir une femme pour la seule raison qu'ils ont des besoins naturels à assouvir, à l'image de ce voisin de Mary Bee Cuddy qui refuse sa demande en mariage, préférant aller chercher une belle fille de l'Est pour la ramener à l'Ouest et sans doute lui réserver le même sort qu'à ces quatre femmes.
Car dans le Territoire, les femmes sont une denrée rare : "Les filles à marier étaient plus rares que les huîtres dans le Territoire, où les hommes étaient huit fois plus nombreux que les femmes.", et ne sont que des objets dans les mains des hommes, sauf Mary Bee Cuddy qui refuse de se laisser manipuler et montre une force de caractère bien plus impressionnante que celle de la plupart de ces pionniers.
Même le personnage masculin de George Briggs n'est pas épargné, s'il part en traînant des pieds et qu'il semble évoluer au fur et à mesure du voyage, le lecteur découvre finalement que ce n'était qu'un court moment de grâce car cet homme ne fera que demeurer fidèle à lui-même.
Ce périple prend la forme d'une révélation pour Mary Bee Cuddy : "Elle comprit brutalement qu'elle était dans la même situation, tirée par un chariot et des femmes devenues folles, et par un des époux qui refusait de faire son devoir, et par son propre cœur irraisonné qui s'était précipité sur un chemin que même les anges craignaient d'arpenter. Une nouvelle expérience, oui, mais pas vraiment mortifiante. Terrifiante était le mot.", c'est une figure féminine très intéressante dans la littérature et j'ai suivi son évolution avec beaucoup d'intérêt tout comme celle de l'étrange relation qui la lie à George Briggs.
Le style de Glendon Swarthout est tout simplement admirable et cette nouvelle traduction le lui rend bien.
Il évoque avec beaucoup de justesse et des mots bien choisis le quotidien de ces colons, les difficultés rencontrées, et je ne peux que louer son énorme travail de fouille minutieuse pour mettre à jour ce pan complètement occulté de la conquête de l'Ouest américain.
Car oui, tous les hivers des femmes perdaient la raison et étaient emmenées au printemps en catimini dans des asiles dans l'Est, parce qu'il fallait à tout prix les éloigner et se voiler la face, mettre hors de portée et d'écoute ces femmes devenues démentes d'avoir côtoyé la nature à l'état brut et sauvage, une nature indomptable qui a eu raison d'elles, comme cela est le cas pour les cinq femmes de ce roman.
J'y inclus volontairement Mary Bee Cuddy, car si elle fait partie de ces femmes exceptionnelles grâce à qui l'Amérique a pu se construire elle n'est pas indemne de la vie qu'elle a passé dans cette contrée sauvage.
Je ne pense pas être ressortie indemne de cette lecture, tout comme je suis ressortie secouée de la salle de cinéma, car le fond du récit interpelle et si la narration donne une sensation de détachement ce n'est qu'une impression car c'est plutôt bien tout le contraire qui se dégage de l'ensemble.

Ni tout à fait western ni tout à fait récit épique, "Homesman" de Glendon Swarthout est un roman à l'image du Nebraska de cette époque : rude et violent, et qui, à travers le portrait de Mary Bee Cuddy et de son odyssée en terre hostile, rend un bel hommage à toutes ces femmes qui ont contribué à bâtir l'Amérique.
Un livre et un auteur à découvrir de toute urgence, et ensuite un film à voir, les deux étant parfaitement complémentaires.

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