samedi 8 décembre 2012
Quand l'empereur était un dieu de Julie Otsuka
Berkeley, printemps 1942. Une femme et ses deux enfants se préparent à quitter leur maison. Ils ne savent ni où ils vont, ni ce qui les attend. Ils ont seulement appris qu’ils avaient le droit d’emporter avec eux des draps, des couvertures, du linge de maison, des couverts, des assiettes, des bols, des tasses et des vêtements. Leur crime ? Ces paisibles Américains sont d’ascendance japonaise. Après un voyage éreintant qui les mène à Topaz, ils découvrent l’environnement qui sera le leur pendant plusieurs années : un camp envahi par la poussière blanche du désert, des centaines de baraques en papier goudronné écrasées sous un soleil de plomb, des soldats en arme, des fils de fer barbelé, la promiscuité, la sonnerie des sirènes, les jours sans viande, l’odeur des haricots et les repas sans baguette. Il leur est interdit de se chauffer l’hiver, ils sont condamnés à des travaux forcés. Après Hiroshima, les survivants retrouvent leurs habitats vidés de fond en comble et leurs jardins dévastés, subissent l’hostilité de leurs voisins et peinent à trouver du travail. Après tant d’années perdues loin de chez eux, le conflit continue… À travers ce roman magistralement mené, Julie Otsuka dénonce l’un des plus grands scandales de la démocratie américaine, rendant dans le même temps hommage à ses propres grands-parents, déportés par le F.B.I. au lendemain de l’attaque de Pearl Harbor. Une première œuvre de fiction où éclate le talent d’une jeune romancière avec qui le monde des lettres va devoir désormais compter. (Editions Phébus)
"Quand l'empereur était un dieu" est un livre surprenant à bien des titres.
Tout d'abord, je ne savais pas que des camps de concentration avaient été faits aux Etats-Unis et que des citoyens d'origine japonaise (certains étaient américains et non plus japonais) y avaient été enfermés de l'attaque de Pearl Harbor en décembre 1941 à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Il faut dire que tout cela a été fait bien discrètement et que personne de la population ne s'en est réellement offusquée, quant au pourquoi de cet internement, les raisons sont fallacieuses : "C'était dans l'intérêt de la sûreté nationale. C'était une question de nécessité militaire. C'était pour eux l'occasion de prouver leur loyalisme.".
Non seulement ces gens ont été contraints de partir de chez eux pour rejoindre les camps, certains ont été spoliés de leurs biens, mais auparavant certains hommes avaient été arrêtés pour être interrogés, pour que leur loyalisme soit mis à l'épreuve avec des questions du style : "L'empereur est-il un homme ou un dieu ? Si un cuirassé japonais se fait torpiller dans le Pacifique, êtes-vous content ou triste ? A votre avis, quel camp va-t-il gagner la guerre ?".
C'est le cas du père de famille qui est arrêté chez lui au lendemain de l'attaque de Pearl Harbor et qui ne reverra les siens qu'à la fin de la Guerre, mais changé à jamais.
Quant à la mère et aux deux enfants, ils seront déportés dans un camp pour retrouver leur maison saccagée par les différents occupants à la fin de la Guerre : "Lorsque nous sommes rentrés chez nous à la fin de la guerre, c'était l'automne et la maison nous appartenait toujours.".
De ces années d'internement, ils ne reparleront pas, même les enfants, préférant reprendre leur vie là où elle s'était arrêtée et continuer à avancer : "Maintenant que nous étions de retour dans le monde, nous ne désirions qu'une seule chose : oublier.".
L'histoire et les personnages sont une fiction mais pas que, car il transpire bien du récit de l'auteur qu'elle a dû s'inspirer de ce qu'avait vécu des personnes de sa connaissance voire même de sa famille.
Donc déjà, rien que pour l'histoire évoquée dans ce récit ce premier livre de Julie Otsuka mérite d'être lu.
Ensuite, la deuxième surprise vient du style et de la plume de Julie Otsuka.
"Quand l'empereur était un dieu" est un premier roman, il faut le savoir car l'écriture n'en laisse rien paraître.
Le style est surprenant : presque glacé, dépouillé de tout artifice et de toute émotion, le tout écrit avec un certain recul, sans jugement porté ni haine à l'égard du passé.
Dans le même temps, la narration est maîtrisée de bout en bout et cette distance, plutôt que de désintéresser le lecteur, l'entraîne au contraire dans la lecture à suivre le déroulement de l'histoire.
Le récit se décompose en cinq parties, avec une chute étonnante car écrite du point de vue du père alors qu'il a été absent physiquement tout le reste de l'histoire, n'étant évoqué que par des échanges épistolaires, et se caractérise par le recours à l'ellipse, ce qui accentue la dimension tragique de l'histoire et lui offre une dimension poétique.
"Quand l'empereur était un dieu" est un premier roman maîtrisé qui mérite d'être lu pour l'histoire quasi inconnue qui y est présentée et également pour la très belle plume de Julie Otsuka, une auteur à découvrir de toute urgence.
Livre lu dans le cadre du challenge ABC Critiques 2012/2013 - Lettre O
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