Au milieu des années 1950, Mathilde sort à peine de l’enfance quand la tuberculose envoie son père et, plus tard, sa mère au sanatorium d’Aincourt. Cafetiers de La Roche-Guyon, ils ont été le cœur battant de ce village des boucles de la Seine, à une cinquantaine de kilomètres de Paris.
Doué pour le bonheur mais totalement imprévoyant, ce couple aimant est ruiné par les soins tandis que le placement des enfants fait voler la famille en éclats, l’entraînant dans la spirale de la dépossession. En ce début des Trente Glorieuses au nom parfois trompeur, la Sécurité sociale protège presque exclusivement les salariés, et la pénicilline ne fait pas de miracle pour ceux qui par insouciance, méconnaissance ou dénuement tardent à solliciter la médecine.
À l’âge où les reflets changeants du fleuve, la conquête des bois et l’insatiable désir d’être aimée par son père auraient pu être ses seules obsessions, Mathilde lutte sans relâche pour réunir cette famille en détresse, et préserver la dignité de ses parents, retirés dans ce sanatorium – modèle architectural des années 1930 –, ce grand paquebot blanc niché au milieu des arbres. (Actes Sud)
Elle est décidément très douée,
Valentine Goby, pour bâtir un roman – une fiction donc – sur la base d’un
évènement ou d’une personne ayant réellement existé.
Après s’être inspirée de la vie de
Charlotte Michel pour "L’antilope blanche" et de la chambre des
enfants à Ravensbrück et de Marie-José Chombart de Lauwe qui y fût affectée
comme puéricultrice pour "Kinderzimmer", Valentine Goby s’est ici
inspirée de l’histoire familiale d’Elise Bellion pour conter celle de Mathilde,
le personnage central et clef de voûte de son roman, celui qui va soutenir la
famille quand celle-ci va à vau-l’eau.
Au lendemain de la Guerre la France
s’est reconstruite, c’est une période faste que l’Histoire retient sous le nom
des Trente Glorieuses, c’est la période bénie de la création de la Sécurité
sociale et du déploiement des antibiotiques et pourtant, c’est aussi l’époque
où des sanatoriums sont encore ouverts, notamment en région parisienne, et y
accueillent de nombreux tubards, ou poitrinaires, autant de noms désignant les
tuberculeux : "Elle se demande qui se souviendra d'eux, ces tubards des années 1960 en marge des Trente Glorieuses, de la Sécurité sociale et des antibiotiques.".
A la Roche-Guyon, Paul Blanc est
l’âme du café, Le Balto, qu’il gère avec sa femme : il fait crédit, il met
toujours l’ambiance, il n’hésite pas à sortir son harmonica et à en jouer pour
animer les bals.
Paul aime trois femmes : la
sienne, Odile ; Annie son aînée qu’il chérit ; Mathilde sa cadette
mais qu’il aime mal tant il aurait aimé un fils ; et puis il y a Jacques,
le petit dernier, le seul garçon.
Au risque de paraphraser la
narratrice, Annie n’est pas intéressante car elle ne fera que passer dans cette
histoire, très vite elle vivra sa propre vie, loin des siens ; celle qui
sera l’âme de cette famille, et donc du roman, c’est Mathilde, qui de sa voix racontera le drame de sa famille dans une époque qui a déjà oublié les tuberculeux : "Ainsi est le drame dont je parle : anachronique et oublié. On les a attendus longtemps, les poitrinaires enfermés ici, bien après la victoire déclarée contre le bacille; certains ne sont jamais revenus.".
Et puis un beau jour tout bascule,
Paul est diagnostiqué comme tuberculeux, la famille Blanc est mise à l’écart du
village et sombre alors dans un puits sans fond de déchéance, après un premier
séjour au sanatorium d’Aincourt Paul rentre chez lui mais il n’est pas guéri,
les Blanc ne bénéficient pas de la Sécurité sociale alors ils ne se soignent
pas, mais au bout de quelques années non seulement Paul doit retourner au
sanatorium mais aussi Odile.
Mathilde et Jacques sont placés en
familles d’accueil mais Mathilde va se rebeller contre le système et se battre
pour que cette famille qu’elle aime reste unie.
Difficile de ne pas aimer et de ne
pas s’attacher à Mathilde, cette petite fille de neuf ans au début de
l’histoire et qui en a à peine dix-neuf lorsqu’elle s’achève, cette fillette
qui va se rebeller contre le système, se faire émanciper en tant que mineur et
souffrir, galérer, se priver, pour que ses parents puissent se soigner dans une
relative insouciance, pour que son petit frère puisse avoir un avenir, et elle
aussi.
Elle est à la fois forte et fragile
Mathilde, elle va apprendre à ses dépens qu’elle ne peut pas porter tout le
poids de cette famille sur ses frêles épaules et qu’il faut parfois savoir
appeler à l’aide, ou prendre la main qui se tend vers soi.
J’aime ce personnage qui finit par
exploser en vol, c’est un être humain après tout, pas un surhomme ou une héroïne
de papier glacé.
Elle va aussi trouver des aides
aussi surprenantes qu’inattendues, ainsi j’ai été touchée par son amitié avec
Jeanne, la simplette du village qui ne craint pas la contagion, par cette
directrice d’école qui lui tend la main dans un moment de grand désespoir.
Il y a la petite histoire, celle de
la famille des Blanc, qui se mêle à la grande : tandis que Mathilde prend
son indépendance l’Algérie lutte pour la sienne, un beau parallèle et fil
conducteur du dernier tiers du roman.
Il y a aussi une certaine ironie
quand j’apprends que le sanatorium d’Aincourt, lieu d’internement des parents
de Mathilde pendant près d’un an, fut entre 1940 et 1942 un camp d’internement
et en 1943 un camp d’entraînement de la Milice ; je me demande alors dans
quelle mesure cale a influencé Valentine Goby dans le choix de son histoire
après son précédent roman se déroulant à Ravensbrück, voire même si ce n’est
pas totalement volontaire de sa part.
Il n’en demeure pas moins que
Valentine Goby a une très belle plume et qu’elle sait si bien raconter des
histoires qui emportent le lecteur.
Outre le personnage central de
Mathilde, un personnage féminin - dénominateur commun semble-t-il dans l’œuvre
de cette auteur, j’ai apprécié la construction de ce roman : Mathilde est
plus âgée et se promène dans les ruines du sanatorium et se remémore alors les
années de sa jeunesse liées à ce bâtiment, ce grand paquebot construit dans les
années 20 dans le Vexin.
La famille Blanc va à
contre-courant de son époque, le père et la mère semblent appartenir à une
autre époque, voire à une autre planète tant ils sont déconnectés de leurs
enfants et enfermés dans leur amour, le paroxysme étant leur lune de miel d’un
an ensemble au sanatorium d’Aincourt : "Elle n'a jamais tant eu Paulot à elle que depuis Aincourt. Jamais été si libre de l'aimer, ils n'ont rien à faire que dormir, se soigner, s'aimer.".
Ils ont un côté profondément
égoïste et enfantin qui agace la personne que je suis, tout comme Mathilde mais
qui n’a pas d’autre choix que de s’en accommoder, pourtant je ne les ai pas
détestés pour autant, et c’est là l’une des réussites de l’auteur, elle a su
montrer les gens avec leurs qualités mais aussi leurs défauts sans les rendre
tout à fait antipathiques ou détestables aux yeux du lecteur.
L’autre grande réussite c’est
qu’elle a su retranscrire de façon très juste la mise à l’écart de la famille
Blanc, jadis incontournable du village de La Roche-Guyon ils sont dans un
premier temps mis à l’écart, tout le monde de méfie d’eux et de la moindre
goutte de salive qui jaillirait de leur bouche, puis de reclus ils passent au
stade de pestiférés et finissent par le quitter, pour y revenir car ils sont
dans une telle misère qu’ils n’ont plus d’autres choix : "La maladie a banni les Blanc, la misère les ramène. Ils reviennent en perdants. Ils vont d'une solitude à l'autre. Le pire est celle qui vient, celle du paria, paraiyar, hors caste parmi les siens dans la langue tamoule du XVIè siècle. L'exil était moins cruel.".
Ceux qui auparavant allaient
danser, boire et rire au Balto n’osent même plus adresser un mot à Paul, ceux
qui y ont bu à l’œil sont les premiers à lui cracher à la figure et personne,
ou presque, ne vient en aide à Mathilde quand celle-ci ravale sa fierté pour
demander un petit quelque chose pour vivre à peu près dignement.
La tuberculose faisait encore peur
dans les années 50, elle fait toujours peur de nos jours et je suis sûre que
quelque part dans le monde il y a encore des Mathilde prêtent à tout pour se
battre et refuser la fatalité et la mise à l’écart liées à cette maladie.
"Un paquebot dans les arbres" est une chronique amère de la France des années 50-60 dans laquelle les tuberculeux étaient encore considérés comme des pestiférés et où une jeune femme va se battre envers et contre tous pour maintenir à flot sa famille, un roman beau et fort comme Valentine Goby sait si bien les faire.
"Un paquebot dans les arbres" est une chronique amère de la France des années 50-60 dans laquelle les tuberculeux étaient encore considérés comme des pestiférés et où une jeune femme va se battre envers et contre tous pour maintenir à flot sa famille, un roman beau et fort comme Valentine Goby sait si bien les faire.
Vue du sanatorium d'Aincourt
Vue aérienne du sanatorium d'Aincourt
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