mardi 1 novembre 2016

HHhH de Laurent Binet


Prague, 1942, opération « Anthropoïde » : deux parachutistes tchèques sont chargés par Londres d'assassiner Reinhard Heydrich, le chef de la Gestapo et des services secrets nazis, le planificateur de la Solution finale, le « bourreau de Prague ». Heydrich, le bras droit d'Himmler. Chez les SS, on dit de lui : « HHhH ». Himmlers Hirn heiβt Heydrich – le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich. Dans ce livre, les faits relatés comme les personnages sont authentiques. Pourtant, une autre guerre se fait jour, celle que livre la fiction romanesque à la vérité historique. L'auteur doit résister à la tentation de romancer. Il faut bien, cependant, mener l'histoire à son terme… (Le Livre de Poche)

Le titre de ce roman m’a toujours intriguée.
Tout comme sa couverture.
Pourtant, j’ai tardé à le lire, parce que je ne savais pas de quoi cela traitait.
Levons tout de suite le voile sur le mystère du titre : "HHhH, dit-on dans la SS : Himmlers Hirn heiβt Heydrich - le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich.".
Sachant que ce roman traitait d’un épisode véridique de la Seconde Guerre Mondiale, et que cela se passait à Prague (ville que j’ai très envie de découvrir, autant commencer par le biais de la littérature), j’ai enfin décidé de me lancer dans sa lecture.
Notez qu’à ce stade, je ne savais pas bien qui était exactement Heydrich, le rôle qu’il a eu dans le parti nazi, ce qui lui a valu d’être assassiné.

En fait, Reinhard Heydrich (le prénom ne fait pas tilt dans votre esprit tout à coup ?), grand, blond, athlétique, musicien, était une belle ordure et il est fort heureux que l’opération "Anthropoïde" ait réussi, sinon je me demande bien quelle tournure aurait pris la guerre (i.e. cela aurait pu être encore plus atroce que ça ne l’a été).
Laurent Binet a décidé de construire son roman sur l’opération "Anthropoïde" qui a eu lieu en 1942 à Prague, mais avant d’y arriver il parle de Heydrich, de sa plus tendre enfance à son ascension fulgurante dans le parti nazi.
Croyez-le ou non, rien de ce qu’il dit n’est inventé : "Non, ce n'est pas inventé ! Quel intérêt, d'ailleurs, y aurait-il à "inventer" du nazisme ?" (Laurent, je suis complètement d’accord avec toi), l’auteur a mené de nombreuses recherches avant de commencer à écrire son roman ainsi que pendant sa réaction, ce qui lui a valu quelques déboires, pour ne pas dire que le livre aurait pu ne jamais voir le jour : "Je sens bien que ma soif de documentation, saine à la base, devient quelque peu mortifère : au bout du compte, un prétexte pour reculer le moment de l'écriture." (comme je te comprends Laurent, l’une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté d’écrire d’ailleurs, le savoir appelle le savoir et éteint toute création ou presque s’il n’est pas stoppé à temps).
Pour en revenir au fameux Heydrich, je vous épargnerai sa plus tendre enfance mais il faut savoir que son entrée dans l’âge adulte ne se fait pas simplement, il essuie plusieurs revers, sa carrière dans la marine sombre, et il se retrouve en 1931 sans perspective de carrière et sans emploi.
Plutôt que de noyer son désespoir dans l’alcool, il va, pour le plus grand malheur de tous, rebondir et s’affilier au parti nazi, dans lequel il va connaître une ascension fulgurante.
Il se présente chez Himmler, celui-ci non seulement l’accepte dans la SS mais il lui confie aussitôt la création du futur SD (Sicherheitsdienst), le service de renseignements.
Heydrich est talentueux : "Cet homme est extraordinairement doué et extraordinairement dangereux. Nous serions stupides de nous passer de ses services. Le Parti a besoin d'hommes comme lui, et ses talents, dans l'avenir, seront particulièrement utiles.", il ne cesse de grimper dans la hiérarchie et il atteint des sommets lors de la création du RHSA : "Le RHSA, Office central de sécurité du Reich (Reichssicherheitshauptamt), fusionne le SD, la Gestapo, et la Kripo (la police criminelle). Les attributions de cette monstrueuse organisation dépassent en puissance tout ce qu'on peut imaginer. A sa tête, Himmler nomme Heydrich. Service d'espionnage, police politique, police criminelle, placés entre les mains d'un seul homme. Autant le nommer directement "homme le plus dangereux du IIIè Reich". C'est d'ailleurs devenu très vite son nouveau surnom.".
Si ça ne vous suffit pas, je me dois de vous dire qu’il a aussi créé les Einsatzgruppen et a donc participé à l’organisation de la destruction des Juifs d’Europe.
Outre le surnom de "La bête blonde", il a aussi eu le droit à celui de "Le boucher de Prague", dû aux exactions et aux répressions sanglantes qu’il a mises en œuvre lorsqu’il était Vice-protecteur de Bohême-Moravie.
Une fois ce sinistre et dangereux individu assassiné (il est mort d’une septicémie suite à la blessure reçue au cours de l’attentat), les SS, en guise de représailles, ont exécuté les hommes de Lidice, les femmes ont été déportées à Ravensbrück, les enfants à Lodz et Chelmno, quelques-uns présentant des traits considérés comme aryens ont été confiés à des familles Allemandes, la ville est ensuite incendiée et rasée.
Si vous vous rappelez, je vous ai dit un peu plus haut que le prénom de Heydrich allait faire tilt, comme il était chargé jusqu’à sa mort de la mise en place de la Solution finale, cette opération a été baptisée en son hommage "Aktion Reinhard".
Sur ce, je crois que l’on a tous envie d’aller vomir.

Je ne sais pas si ce roman est consacré à Heydrich ou aux résistants Slovaque Jozef Gabčík et Tchèque Jan Kubiš du groupe "Anthropoïde" (ainsi que le Tchèque du groupe "Silver A") qui l’ont assassiné, ou alors c’est consacré à tout ce monde, mais aussi à toutes les victimes.
Il faut dire que le roman de Laurent Binet est dense et ne se lit pas rapidement, il est extrêmement fourni en matière historique du fait des nombreuses recherches de l’auteur, qui a d’ailleurs dû s’arracher les cheveux pour réussir à écrire quelque chose et ordonner tous les documents qu’il a pu lire pour bâtir son récit.
Laurent Binet intervient souvent au cours de son récit, il parle de sa vie personnelle (l’écriture d’un tel roman a forcément eu un impact dessus), de ses recherches, et c’est un aspect que j’ai beaucoup apprécié, déjà parce que cela casse la trame dense et évite que le lecteur souffre d’indigestion, mais aussi parce que cela permet d’avoir un aperçu de sa méthode de travail.
Outre des recherches très approfondies, le récit est construit de manière fort intelligente, car l’auteur n’hésite pas à parler régulièrement de la préparation des résistants et de l’attentat afin de les rappeler dans la mémoire du lecteur (et vu tout ce qu’il y a à dire, 1942 et cet épisode bien précis est très lointain dans la narration).
A titre personnel et après lecture de ce roman, je trouve regrettable que le nom de Heydrich n’apparaisse pas plus dans les manuels d’histoire car il est à mon avis fort représentatif de l’appareil nazi et de la mise en place de la destruction des Juifs, tant son emprise était complète sur tous les domaines, bien plus qu’un Himmler, un Göring ou un Goebbels (certes ils étaient puissants, mais Heydrich apparaît plus puissant, et plus dangereux car ayant la main mise sur tous les domaines).
Si l’épisode de l’attentat est bien amené et parfaitement décrit, je dois dire que Laurent Binet a su ménager un suspens sur le devenir des résistants Tchèque et Slovaque et leur fuite après leur acte.
Je trouve même que la scène dans l’église est la plus anxiogène dans tout le récit.
Et dire que c’est un premier roman !
Et bien mazette, l’écriture est maîtrisée du début à la fin, c’est un coup de maître tant en terme de qualité que de forme.

"HHhH" est un roman dense et hautement intéressant qui permet de vivre de l’intérieur l’assassinat d’un des hommes les plus dangereux du Troisième Reich, c’est à la fois instructif, intelligent et parfaitement bien construit et écrit, une œuvre à mon avis majeure de ces dernières années.



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