mardi 24 septembre 2013
La dernière conquête du Major Pettigrew de Helen Simonson
À Edgecombe St. Mary, en plein coeur de la campagne anglaise, une tasse de thé délicatement infusé est un rituel auquel, à l'heure dite, le major Ernest Pettigrew ne saurait déroger pas plus qu'à son sens du devoir et à son extrême courtoisie, aussi désuète que touchante, qui font de lui l'archétype même du gentleman anglais : raffiné, sarcastique et irréprochable. Dans ce petit village pittoresque ou les cottages le disputent aux clématites, le major a depuis trop longtemps délaissé son jardin. Désormais veuf, il a pour seule compagnie ses livres, ses chers Kipling, et quelques amis du club de golf fuyant leurs dames patronnesses. Ce n'est guère son fils, Roger, un jeune londonien ambitieux, qui pourrait le combler de tendresse. Mais, le jour ou le major apprend le décès de son frère Bertie, la présence douce et gracieuse de Mme Ali, veuve elle aussi, va réveiller son coeur engourdi. Tout devrait les séparer, elle, la petite commerçante d'origine pakistanaise, et lui, le major anglais élevé dans le plus pur esprit britannique. Pourtant leur passion pour la littérature et la douleur partagée du deuil sauront les réunir. Ils vont, dès lors, être confrontés aux préjugés mesquins des villageois, ou le racisme ordinaire sévit tout autant dans les soirées privées, sur le parcours de golf, à la chasse, sur les bancs de messe que dans les douillets intérieurs. Et les obstacles seront pour eux d'autant plus nombreux que leurs familles s'en mêlent : Roger s'installe dans un cottage voisin avec Sandy, sa petite amie américaine, et le neveu de Mme Ali, musulman très strict rentré du Pakistan, se découvre un enfant caché... C'est avec beaucoup de charme et d'intelligence que Helen Simonson s'empare du thème des traditions pour montrer combien elles peuvent être à la fois une valeur refuge et un danger. Il se dégage de son roman une atmosphère so british qui enchante. Reste une question : votre tasse de thé, vous le prendrez avec un nuage de lait ou une tranche de citron ? (Nil Editions)
A l'heure où le brouillard de la nuit est tombé et où le froid commence à s'insinuer dans la maison, on reprendrait bien une bonne tasse de thé bien chaud, et puis, on n'aurait rien contre une petite romance typiquement anglaise, qui mettrait en scène, par exemple, un major à la retraite et une épicière d'origine pakistanaise dans un petit village rural bien comme il faut.
Mais voilà, il y a ce qu'il faut faire et ne pas faire, les gens à fréquenter dits de bonne société et ceux qu'il ne faut que côtoyer quelques minutes par jour et surtout, il faut respecter à la lettre toutes ces traditions sous peine de choquer les gens bien pensants et de remettre en cause l'équilibre familial : "Et depuis quand comptes-tu des épicières parmi tes amies ? Tu es devenu copain comme cochon avec le laitier, maintenant ?".
Car notre major, il aurait un sérieux handicap : celui d'avoir un fils banquier à la City littéralement dévoré par l'ambition et qui ne ferait même plus attention aux gens qui l'entourent, sa fiancée tout d'abord et même son père.
Et puis, il devrait aussi se heurter aux commérages du village, aux éminents membres de son club de golf qui trouveraient so scandalous que ce monsieur comme il faut fréquente une (vulgaire) épicière.
Je rajouterai également une petite touche familiale, parce qu'un fils égocentriste ne suffirait pas : la perte de son frère, ses relations tendues avec sa belle-soeur et surtout les difficultés à récupérer l'un des deux fusils de son père qui lui revient en tant qu'aîné alors que la-dite belle-soeur aimerait pouvoir se payer une croisière, entre autres choses, avec la vente du-dit fusil de collection, tout ça parce qu' "En réalité, on ne devrait pas avoir à négocier avec sa famille comme un vendeur de voitures d'occasion.".
Mais notre major, il serait aussi, et en dépit de son âge, follement romantique : "Elle et lui, de retour d'une longue promenade, vers une pièce éclairée par une lampe, remplie de livres, et un verre de vin à la table de la cuisine ...", avec l'imagination qui s'activerait à 200% pour trouver un moyen de séduire Madame Ali, l'épicière, qui ne laisse pas indifférent, loin de là, d'autant plus qu'elle se met à lire Kipling et en discute avec lui, et que ça donnerait à notre major une furieuse envie de l'embrasser.
Mais comme tout amoureux qui se respecte, il serait aussi un peu stupide : "Elle pressa le pas vers le bout de l'allée et, quand elle disparut, robe bleue dans la nuit profonde, il comprit qu'il était un sot. Cependant, à cet instant, il ne voyait aucun moyen d'être un autre homme.", car après tout, personne n'est parfait.
Vous en avez rêvé ?
Helen Simonson l'a fait, en écrivant avec une plume enlevée cette belle histoire entre un major anglais veuf et une épicière également veuve.
Pour un premier roman c'est réussi, tout y est : le charme, la romance, des scènes amusantes prêtant à sourire et d'autres donnant envie de baffer le personnage (surtout le fils du major).
Mine de rien, sous une apparence légère ce roman aborde intelligemment des thèmes de société : les relations père-fils, le fossé entre générations, le poids des coutumes, des traditions et de la religion, la séparation nette et tranchée entre les classes sociales, le racisme.
Même si l'édition dans laquelle j'ai lu ce roman comporte quelques coquilles, particulièrement des virgules placées aléatoirement, la très belle couverture suffit à elle seule à attirer le regard et à tendre la main pour saisir le livre.
"La dernière conquête du Major Pettigrew" est un roman délicieusement so british qui se laisse déguster avec un bon thé et quelques biscuits, et qui charme le lecteur par son univers britannique à nul autre pareil, tout comme la plume de Helen Simonson.
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