jeudi 13 septembre 2012

L'empreinte à Crusoé de Patrick Chamoiseau

Robinson Crusoé vient de passer vingt ans de solitude dans son île déserte. Il a dû reconstruire son équilibre. C'est avec fierté – celle d'avoir soumis l'île à sa domination – qu'il entame ce matin-là une promenade rituelle sur la plage où il avait mystérieusement échoué il y a tant d'années. C'est alors qu'il découvre l'inconcevable : dans le sable, une empreinte. Celle d'un homme. Passé l'affolement, puis la posture agressive et guerrière, le solitaire s'élance à la recherche de cet Autre qui lui apporte ce dont il avait oublié l'existence : l'idée même de l'humain. Commence alors une étrange aventure qui le précipite en présence de lui-même et d'une île inconnue jusqu'alors. Celui qui avait réussi à survivre sans civilisation, sans culture, sans autrui, doit maintenant affronter ce qu'il n'aurait pu imaginer ailleurs qu'ici : la relation à l'impensable. (Gallimard)

Avec ce livre, Patrick Chamoiseau se propose de revisiter l'histoire de Robinson Crusoé.
Ici, il est plus question de psychologie, de ce qui se passe dans la tête de ce naufragé présent sur cette île depuis plus de vingt ans, enfin, selon son repère spatio-temporel.
Il a dû se reconstruire, physiquement, mais surtout psychologiquement, apprivoiser la solitude et l'île : "après avoir posé de multiples questions enchâssées dans des formules ad hoc, je m'étais mis à l'écoute de leurs signes et conseils; seul un silence grisâtre m'était revenu, avec parfois un remugle d'abîme qui laissait à penser que j'étais désormais bien au-delà de toute réalité, en une contrée où la puissance des morts elle-même ne laissait aucun accès possible à une quelconque chance;".
Et puis un beau jour, c'est le grand bouleversement, avec la découverte d'une empreinte dans le sable, preuve qu'il n'est pas seul : "en m'isolant dans l'île, en m'isolant de l'île, je m'étais aussi isolé de moi-même;", c'est alors qu'il se prépare à rencontrer l'Autre, à imaginer comment il serait, comment il va l'accueillir.
Il lui faut ré-apprivoiser l'idée de rencontrer un autre humain, de vivre de nouveau une relation humaine : "je n'étais ni ému, ni terrifié, ni impatient d'être en face des hommes; j'étais seulement porté par une plénitude ni béate, ni inquiète, mais pleine d'elle-même, toute sphérique et puissante, sans aucun tremblement, et qui chez moi, seigneur, accompagnait maintenant le surgissement d'une beauté; au bout des vingt-cinq ans de cette immobile aventure, je fermais avec vous la boucle ultime d'une immense rencontre ...".

Le style d'écriture est surprenant, pas de majuscule ni de point, un enchaînement de phrases ponctuées de virgules et de points virgules.
Autant dire que cela m'a quelque peu dérangée, hormis que cela redonne ses lettres de noblesse au point virgule peu usité et tombé dans l'oubli, car j'apprécie généralement les textes aérés; et puis il n'y a aucun dialogue, ce qui rend le récit très dense, peut-être parfois trop.
L'histoire est une suite d'interrogations, de travail sur la psychologie et si j'ai pu l'apprécier pendant un temps, cela a fini par me lasser quelque peu dans ma lecture.
Même si cela illustre une forme de folie, le personnage se lance dans la quête de l'autre et tourne en rond tel un poisson dans son bocal (ou ici tel un naufragé sur une île).
Le récit narratif est interrompu par le journal de bord d'un capitaine, mais c'est trop distillé et cela aurait pu redonner du souffle au récit en étant utilisé un peu plus souvent.
La pirouette finale est jolie, j'avais pensé à une toute autre, mais celle-ci est jouissive et intelligente.

Patrick Chamoiseau maîtrise son écriture de bout en bout, avec un style bien à lui qui lui permet de laisser son empreinte dans la littérature francophone d'aujourd'hui.
Son travail sur Robinson Crusoé est intéressant et cette version a des qualités, elle se focalise néanmoins parfois trop sur le psychisme au risque de lasser le lecteur.
"L'empreinte à Crusoé" est un livre à découvrir, pour cette nouvelle vision apportée sur le personnage de Robinson Crusoé.

Livre lu dans le cadre du Prix Océans

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