dimanche 30 septembre 2012
Sauvage de Nina Bouraoui
« À la fin des années 1970, Sami, un jeune garçon, disparaît au centre de la campagne algéroise. Pour ne jamais l’oublier, Alya, son amie d’enfance, écrit chaque jour son histoire, leur histoire, réinventant le passé, fixant le présent, temps de l’attente et de l’imagination. Il m’est difficile de savoir la personne que je suis mais il m’est facile de savoir pourquoi j’écris. C’est arrivé en 1979. Dans les nuits algériennes où mes rêves n’étaient plus des rêves d’enfant. C’est arrivé dans l’attente d’un amour qui ne reviendrait pas. C’est arrivé dans l’espoir de devenir une personne qui trouverait sa place dans le monde. C’est arrivé tous les soirs, quand je regardais le soleil tomber derrière les plaines de la Mitidja. Chaque fois je me disais qu’il emportait une part de moi-même. Tout tourne, tout s’efface et tout recommence et je ne sais pas si l’on retrouve un jour ce que l’on a perdu. Sauvage est le récit de cette année-là. » (Stock)
Alya vit à Alger, dans un ensemble d'immeubles, avec ses parents et sa soeur : "J'étais bien à Alger. J'avais une vie particulière. Une vie dans les jardins et les forêts. Une vie que nous inventions, tous les jours, ma soeur et moi.", elle cherche l'attention et l'affection des gens : "Je voulais devenir la personne au centre de la scène.", et l'évènement à venir, c'est le passage en 1980, année de nombreux fantasmes.
Mais auparavant, l'évènement marquant de la vie d'Alya, c'est la disparition de Sami, son ami d'enfance.
Pour ne pas l'oublier lui ni les évènements qu'ils ont vécu ensemble, Alya se raconte, dans son journal, sous la forme d'un monologue qui durera tout le long du livre.
Alya entretient une relation ambigüe avec Sami, faite d'amour/amitié et de haine dont la raison ne sera donnée qu'à la toute fin du livre.
Mais ce qui ressort de son histoire, c'est le côté sauvage de leur amitié et de chacun de ces deux êtres pris séparément : "On avait d'autres envies. On avait d'autres désirs. On manquait de liberté. On n'avait pas eu d'enfance, on renonçait à notre jeunesse. Il nous fallait toujours plus. Toujours plus fort. Toujours plus vite. On ne voulait pas de limites.".
Alya est aussi croyante, que ce soit en une religion : "J'aimais l'idée du sacrifice aussi. Je trouvais ça généreux. Mais je gardais cela pour moi parce que mon sentiment pour Dieu me dépassait. Je n'arrivais pas à le définir. Je ne savais pas si c'était lui qui venait à moi ou moi qui allais à lui. Je n'avais ni les mots ni l'histoire de Dieu, mais j'en éprouvais le besoin comme l'on peut éprouver le besoin d'être aimé et d'exister pour quelqu'un.", ou en des rêves qu'elle faits : "Les rêves c'est la partie de soi que l'on ne peut pas montrer. Parce que c'est l'âme sans défense.".
A travers "Sauvage", Nina Bouraoui transporte le lecteur dans une Algérie tel qu'elle en a conservé le souvenir.
Ni tout à fait récit oriental ni tout à fait récit de science-fiction, "Sauvage" oscille en permanence entre ces deux genres littéraires.
Il y a à la fois le côté enchanteur de l'Algérie, des sensations, des odeurs, des paysages; et un univers fantastique exacerbé par l'imagination d'Alya, avec l'arrivée probable d'extraterrestres, la fin du monde avec le passage en 1980, le tout sous fond de musique avec la chanson "Spacer" de Sheila.
Il y a un côté voyeur dans ce roman qui m'a beaucoup plu, le récit à la première personne du singulier d'Alya y étant certainement pour beaucoup.
Avec elle, le lecteur découvre son univers quotidien, son immeuble et ses voisins, ses relations avec ses parents et sa soeur, et les moindres de ses pensées intimes.
Elle parle sans retenu des garçons, de sexe, des relations entre adultes qui la fascinent, de toutes ces questions qui passent par la tête d'une jeune fille de 13/14 ans, s'attirant ainsi l'intérêt et la curiosité du lecteur dès les premières phrases, deux sentiments qui ne le quitteront plus jusqu'à la fin du récit.
Il y a aussi une ambiance qui se dégage des mots, c'est un livre que je qualifierai d'animal tant il arrive à faire passer au lecteur des sensations et des impressions, ceci étant d'ailleurs renforcé par des passages très sensuels montrant, notamment, l'éveil à l'amour, au sentiment amoureux.
Le lecteur ne se contente pas de lire le journal d'Alya, il le vit et lui donne vie, c'est en tout cas ce que j'ai ressenti tout au long de la lecture.
Le style est beau et l'écriture maîtrisée, Nina Bouraoui livre avec "Sauvage" le très beau portrait d'une jeune fille dans une époque en pleine mutation, dans un pays qui commence à s'agiter et dans un monde qui change.
"Sauvage" est un roman qui se lit et qui se vit, porté par l'écriture audacieuse de Nina Bouraoui à travers un monologue de plus de deux cent pages et par Alya, une jeune fille très attachante, qui offre au lecteur une vision sans compromis de sa vie et de ses pensées.
Livre lu dans le cadre du Prix Océans
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