jeudi 31 janvier 2013

Certaines n'avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka


Nous sommes en 1919. Un bateau quitte l’Empire du Levant avec à son bord plusieurs dizaines de jeunes femmes promises à des Japonais travaillant aux États-Unis, toutes mariées par procuration. C’est après une éprouvante traversée de l’Océan pacifique qu’elles rencontrent pour la première fois à San Francisco leurs futurs maris. Celui pour lequel elles ont tout abandonné. Celui auquel elles ont tant rêvé. Celui qui va tant les décevoir. À la façon d’un chœur antique, leurs voix se lèvent et racontent leurs misérables vies d’exilées… leurs nuits de noces, souvent brutales, leurs rudes journées de travail dans les champs, leurs combats pour apprivoiser une langue inconnue, la naissance de leurs enfants, l’humiliation des Blancs… Une véritable clameur jusqu’au silence de la guerre et la détention dans les camps d'internement – l’État considère tout Japonais vivant en Amérique comme traître. Bientôt, l’oubli emporte tout, comme si elles, leurs époux et leurs progénitures n’avaient jamais existé. (Phébus)

"Parce qu'à présent nous étions sur le bateau, le passé était derrière nous et il n'y avait pas de retour possible.".
Dès le début pour toutes ces femmes il n'y a pas de retour possible.
Certaines laissent des enfants, toutes au moins un parent, pour une promesse de vie meilleure aux Etats-Unis.
Loin d'être l'Eldorado promis, toutes ces femmes vont aller de déconvenue en déconvenue, accumulant les déceptions et trimant toute leur vie pour un semblant de morceau de Paradis.
Sur la papier, cette histoire avait tout pour plaire, dans la réalité il en est tout autrement car j'ai été globalement déçue par ce deuxième roman de Julie Otsuka.

Tout d'abord, l'auteur utilise exclusivement une narration en "nous", désignant ainsi toutes les femmes dans leur globalité, sans chercher à distinguer l'une plus que l'autre, à s'attacher à l'une plus qu'à l'autre.
Au final ce style de narration très impersonnel a pour conséquence que le lecteur ne s'attache à aucun de ces personnages féminins et d'une façon plus générale à l'histoire puisqu'avec cette narration l'auteur l'expulse et l'empêche volontairement de se fondre dans le destin de ces femmes.
De plus, l'auteur se permet aussi vers la fin d'exprimer d'autres voix que celles de ces femmes, mais toujours sous une forme globale et impersonnelle : "Tout ce que nous savons c'est que les Japonais sont là-bas quelque part, dans tel ou tel lieu, et que nous ne les reverrons sans doute jamais plus en ce bas monde.".
Le choix de cette narration reste pour moi un mystère : volonté de faire jaillir en une voix celles de plusieurs dizaines de femmes ou bien détachement choisi pour illustrer la disparition des japonais aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre Mondiale ou accentuer le fait que ces femmes ne sont plus chez elles au Japon, qu'elles ne le sont pas et ne le seront jamais aux Etats-Unis, en quelque sorte qu'elles deviennent sans identité car sans pays ?
A des moments l'auteur part aussi dans des inventaires à la Prévert comme au début du roman : "Certaines descendaient des montagnes et n'avaient jamais vu la mer, sauf en image, certaines étaient filles de pêcheur et elles avaient toujours vécu sur le rivage.", quel était le but recherché ? Remplir des lignes sur une feuille ? Meubler son chapitre ?
Le thème choisi méritait un meilleur traitement et n'avait pas besoin de tant de listes pour que le lecteur saisisse le message sous-jacent.
Le découpage de l'histoire est inégal : des chapitres courts, d'autres plus longs, des sauts dans le temps peu marqués, tout cela crée une histoire touffue qui a tendance à s'emmêler par moment, avec des retours sur certaines anecdotes comme si l'auteur s'était rendue compte d'un oubli au cours de son écriture.
Là où Julie Otsuka avait traité finement de l'internement des japonais aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre Mondiale dans "Quand l'empereur était un dieu", ici il n'en subsiste plus grand chose.
D'une part parce que tout cela reste très général sans suivre un personnage en particulier, d'autre part parce qu'elle a gardé un oeil extérieur sur ces évènements et qu'à mon sens elle a trop cherché à créer un parallèle avec les déportations de Juifs pour une destination inconnue qui s'effectuaient au vu et au su de toute la population : "Les Japonais se sont-ils rendus dans les centres d'accueil de leur plein gré ou sous la contrainte ? Quelle est leur destination finale ? Pourquoi n'avons-nous pas été informés de leur départ à l'avance ? Qui va les défendre, si la chose est possible ? Sont-ils innocents ? Sont-ils coupables ? Sont-ils vraiment partis ?".
Il n'y a pas de comparaison possible, que cela ait été ou non l'intention de l'auteur c'est en tout cas le ressenti que j'ai fini par avoir dans ma lecture.

"Certaines n'avaient jamais vu la mer" n'a pas l'éclat du précédent et premier roman de Julie Otsuka, ne serait-ce que par le choix délibéré de l'auteur de rester au-dessus de son histoire sans chercher à s'attacher à suivre et à écrire sur un destin de femme en particulier.
Plus de déception que de satisfaction pour ma part alors que l'histoire était intéressante et aurait mérité un autre traitement pour lui donner plus de relief et s'attirer la totale adhésion du lecteur.
Si Julie Otsuka a cherché à opérer un virage à quasi 180° par rapport à son précédent roman elle aurait dû y réfléchir à deux fois car le style proposé ici déroute et risque de laisser sur le bord de la route plus d'un lecteur.

Livre lu dans le cadre du Prix des Lectrices

1 commentaire:

  1. voilà, moi je suis restée au bord du chemin ! http://facetiesdelucie.canalblog.com/archives/2013/01/11/26116193.html

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