mardi 22 janvier 2013

Les lettres d'Edith Wharton


À Paris, la jeune Lizzie West tombe amoureuse de Vincent Deering, le père de la petite fille dont elle est l'institutrice. Devenu veuf, Deering doit repartir aux États-Unis. Les amants se promettent de s'écrire, mais rapidement Lizzie ne reçoit plus aucune lettre. Quelques années plus tard, elle le croise par hasard... Une analyse fine et pénétrante du coeur d'une femme amoureuse par l'auteur de Chez les heureux du monde. (Gallimard)


"Les lettres" est une nouvelle d’Edith Wharton, romancière américaine ayant passé la plus grande partie de sa vie en France.
C’est donc tout naturellement que l’intrigue de cette nouvelle se situe à Paris, soi-disant ville des amoureux mais ici plutôt ville des déboires amoureux de la jeune Lizzie West.

Lizzie West est une jeune fille simple gagnant sa vie comme institutrice.
Elle s’amourache alors du père d’une de ses élèves : Vincent Deering, peintre de son état : "Ils avaient échangé un baiser, voilà le fait nouveau.".
Ce dernier devient vite veuf, semble répondre à sa flamme, puis doit repartir aux Etats-Unis en prenant soin de laisser sa fillette à un couple d’amis sur la Côte d’Azur et fait jurer à Lizzie de lui écrire pour lui donner des nouvelles : "Ce pacte, à y penser au long d'une nuit d'insomnie, avait surtout consisté - de sa part à lui - à la supplier de lui faire parvenir des nouvelles fréquentes et détaillées et, de sa part à elle, en promesses de les lui donner chaque fois qu'il écrirait pour les lui demander.".
Bien entendu, Lizzie n’aura plus de nouvelles de Deering jusqu’à ce qu’elle le revoit à Paris quelques années plus tard.
La roue de la fortune a tourné et Lizzie en est sortie vainqueur : elle a hérité de la fortune d’un parent et vit désormais plus chichement qu’auparavant : "Elle avait beaucoup espéré de cette opportunité de pouvoir flâner, voyager et surtout musarder - cet art propre aux femmes -, sans parler du pouvoir de se montrer "gentille" envers ses anciennes compagnes d'un temps moins favorable.".
Le rapport de force est inversé, car Deering vit désormais dans le dénuement, mais Lizzie ne lui résistera pas bien longtemps et finira par l’épouser.

Il ne faut pas se laisser abuser par le titre, il ne s’agit pas d’un roman épistolaire mais d’un roman dont l’intrigue tourne autour de lettres : celles envoyées par Lizzie à Deering et restées sans réponse.
L’auteur a pris le parti de ne pas montrer leur contenu au lecteur, il n’y en avait de toute façon pas besoin puisque ce dernier imagine sans problème leur contenu.
L'auteur a vécu de nombreuses années en France, cela se voit immédiatement à la lecture tant les descriptions de Paris sont précises et retranscrivent l'atmosphère de la capitale française.
J'ai bien aimé également la vision des hommes français qu'a Edith Wharton, ou tout de moins ce qu'elle fait penser à la tante de Lizzie : "Elle en était encore au même stade que ses compatriotes féminines qui goûtent au maximum l'excitation périlleuse d'être exposées aux regards d'un Gaulois licencieux.".
J'ai souri, car ceci a traversé le temps et les époques et l'auteur est toujours très respectueuse de la France. Elle apporte juste sa vision très précise des français et de leur comportement.
En tout cas, cette nouvelle est bien amère et non dénuée de morale.

Lizzie West, l'héroïne, n’est pas une oie blanche, pourtant elle se laissera abusée par Vincent Deering et croira tout ce qu’il lui dit pour finir par l’épouser et l’entretenir.
Car Vincent Deering est un profiteur, purement et simplement, incapable de faire quoi que ce soit avec ses dix doigts, il se dit peintre mais est incapable de vivre de son art, qui est certainement médiocre, c’est en tout cas ce que laisse à penser l’auteur.
Lizzie West n’est pas non plus une victime dans le sens où même lorsqu’elle apprend la vérité elle préfère fermer les yeux et continuer ainsi, rabrouant une nouvelle fois celle qui est certainement son amie la plus sincère alors que quelques minutes auparavant sa décision était toute autre : "Et même si, maintenant, elle pourrait lui pardonner de l'avoir oubliée, elle ne pourrait jamais excuser sa duperie.".
Lizzie West condense à elle seule l’image de la femme aveuglée par l’amour et que rien ni personne ne peut ramener à la raison.
Elle a peur de se retrouver seule, à l'origine sans doute peur de vivre et de finir sa vie seule, et c'est pour toutes ces raisons qu'elle se laisse abuser et accepte sa situation : "De cette appréhension, elle détournait résolument ses pensées, consciente du fait que, si elle se laissait aller à l'envisager, la force motrice de son existence disparaîtrait et qu'elle ne saurait plus ni pourquoi elle se levait le matin, ni pourquoi elle se couchait le soir.".
En somme, c'est une réaction tout à fait humaine et compréhensible, tout le monde ou presque a plus ou moins connu une personne ainsi faite qui accepte de fermer les yeux par peur de se retrouver seule.
Edith Wharton a réussi à croquer un portrait féminin au plus proche de la réalité sans faire détester son héroïne ni attirer la pitié du lecteur sur elle.
Malgré ses résolutions, Lizzie finit sans trop d’effort par céder à Deering, sans voir à aucun moment à quel point il est profiteur et paresseux : "Le changement de son sort ne l'avait entraîné à aucun excès : il était simplement trop paresseux pour rédiger le chèque comme il avait été trop paresseux pour se rappeler sa dette.".
D’ailleurs, l’auteur a joué finement dans son écriture, pendant la première partie de l’histoire elle ne laisse rien transparaître de la vraie nature de Deering, ainsi le lecteur croit dur comme fer, tout comme Lizzie, à la sincérité des sentiments qu’il éprouve pour la jeune femme.
Ce n’est que dans la deuxième partie que le lecteur commence à se poser des questions et à percevoir la vérité, se séparant ainsi du personnage de Lizzie qui préfère s’enfermer dans son amour, dans ses certitudes et dans sa vie quotidienne avec son petit confort dû à sa situation financière.
Je n’approuve pas l’attitude de Lizzie : "Voilà qui n'arrivait jamais dans les romans : le bonheur "bâti sur le mensonge" s'effondrait toujours, ensevelissant son architecte présomptueux sous ses ruines. A en croire les lois de la fiction, si Deering l'avait trahie une fois, il devait fatalement continuer à le faire. Et, cependant, elle était convaincue qu'il n'en était rien.", mais c’est là l’un des tours de force de l’auteur, je ne la déteste pas non plus, je n’ai pas eu envie d’envoyer promener le livre devant tant de naïveté et d’aveuglement ni de secouer Lizzie pour la ramener à la raison et je ne lui en veux pas.
Au contraire, je comprends en un sens pourquoi elle agit ainsi, ceci est dû en grande partie au style littéraire d’Edith Wharton dont la plume est toujours aussi précise et affûtée quand il s’agit de parler des affres de la vie amoureuse.


Goûter au style d'Edith Wharton c'est y revenir, et même si plusieurs mois se sont écoulés depuis ma dernière (et première) lecture de cette auteur, j'ai lu avec grand plaisir "Les lettres", conte oscillant entre le doux et l'amer et pénétrant au plus profond du coeur d'une femme amoureuse qui a perdu tout ou partie de sa raison, mais ne dit-on pas que la raison n'a jamais raison quand il s'agit du coeur ?

Livre lu dans le cadre du challenge ABC Critiques 2012/2013 - Lettre W


Livre lu dans le cadre du challenge Edith Wharton

4 commentaires:

  1. Ton billet ravive mon envie de relire une oeuvre de Wharton. Ce court roman ou nouvelle serait une belle occasion de me remettre le pied à l'étrier !

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  2. @George : aussitôt acheté aussitôt lu. J'ai 2 autres livres en attente de cette auteur, je ne sais pas pourquoi je repoussais une nouvelle lecture.

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  3. Il n'est jamais trop tard ! je viens enfin de lire cette nouvelle et du coup j'ai relu ton billet qui est d'une autre volée que le mien !

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